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difficultés pour remplir les engagemens qui lui avaient été imposés, à moins d’affaiblir ses armées en campagne. Omer-Pacha lui-même protesta contre la dernière prétention de lord Stratford qui se trouva ainsi dans l’impossibilité de doter l’Angleterre de nouvelles forces qu’il avait cru pouvoir, en quelque sorte, improviser grâce à l’autorité qu’il exerçait sur la plupart des ministres ottomans et particulièrement sur le chef du cabinet. Son orgueil en fut offensé, et il ne déguisa pas son mécontentement surtout au ministre de la guerre.


V

Les choses en étaient à ce point quand M. de Lesseps dont la mort m’est annoncée au moment où j’écris ces lignes, — et auquel la France rendra certainement l’hommage dû à son génie et à son patriotisme, — arriva à Constantinople pour solliciter l’assentiment du sultan à la concession qu’il avait obtenue du vice-roi d’Egypte. Je le mis en rapport avec le cabinet ottoman, et il eut l’honneur d’être reçu incontinent par le souverain ; je le présentai à lord Stratford lui-même, et partout il rencontra ou il crut rencontrer un accueil l’autorisant à penser que sa démarche serait couronnée d’un prochain succès. On sait que les dispositions des gouvernemens n’ont pas plus ébranlé sa confiance que les difficultés matérielles ou financières de l’entreprise. Il avait, avec la foi, la persévérance qui a été le puissant élément de son triomphe. Il partit donc pour Alexandrie, l’âme vigoureusement trempée du sentiment qui faisait sa force. Il croyait à la sincérité du langage qu’on lui avait tenu, et se rendait auprès de Saïd-Pacha pour l’aider à fournir les éclaircissemens que, disait-on, on lui demandait. L’œuvre géniale de l’ouverture d’un canal flallait le légitime orgueil du sultan et de la plupart de ses conseillers. Pour moi, nous restions en présence d’un obstacle qu’il serait malaisé de surmonter. Sans s’opposer ostensiblement à l’acquiescement du Divan, l’ambassadeur d’Angleterre demandait qu’on sursît à toute décision en attendant que son gouvernement, principal intéressé, disait-il, eu cette affaire, pût l’examiner et faire connaître son avis. Je pressentis ou un ajournement indéfini ou une résolution négative.

La parole de l’Angleterre ne pouvait en effet manquer d’être d’un grand poids en cette question, et la presse de Londres insinuait déjà que le gouvernement de la reine devait refuser son acquiescement. On s’en alarma à Constantinople ou plutôt dans l’entourage du grand-vizir, prévoyant que son embarras serait