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juger, en jetant le blâme de tous les eûtes et en se complaisant dans la contemplation intime des révélations divines ; — et ce qui en est la conséquence imprévue, une certaine impartialité, qu’on ne trouve guère chez les protestans à l’égard du catholicisme romain : ce sont des traits que cent ans après, dans la dernière des Soirées de Saint-Pétersbourg, Joseph de Maistre reconnaissait encore chez les illuminés de son temps. Ce sont des traits essentiels chez les piétistes ; et, dans le cas particulier, c’est ce qui aide à comprendre que Magny, en 1726, n’ait pas su trop mauvais gré à Mme de Warens de sa conversion au catholicisme.

Il y avait là, en revanche, de quoi faire froncer le sourcil à ceux qui étaient attachés à la cause de la Réforme. A cet égard, la traduction que Magny avait faite du livre de Tennhard ne pouvait que déplaire. On ne voulait pas d’ailleurs que des ouvrages nouveaux vinssent fournir des alimens à l’agitation piétiste. En 1700, un premier écrit de Magny, qui avait fait quelque bruit dans le pays, avait été supprimé, et l’on avait défendu à l’auteur d’écrire sur des matières de religion. L’autorité s’émut de ce que ses commandemens n’avaient pas été respectés, et Magny eut beau dire que ce qu’il venait de publier n’était pas de lui, qu’il n’était qu’un simple traducteur : cette excuse n’eut pas de succès. L’orage grondait, et Magny crut bien faire en se mettant à couvert et en quittant le pays de Vaud. Dans l’automne de 1713, il alla demeurer à Genève, et il y passa sept ans. Il y fut bien accueilli ; il avait des amis parmi les familles les plus haut placées de la petite république. « J’ai séjourné trois ans, dit-il, dans la maison d’un des plus considérables citoyens (M. Trembley) et fréquenté d’autres maisons distinguées. »

Le séjour de Magny à Genève fut longtemps très paisible. Mais le moment vint où les assemblées piétistes se multipliant dans la ville, et Magny y jouant un grand rôle, une enquête fut ouverte sur le prosélytisme dont on l’accusait. On a les mémoires qu’il écrivit alors (1718) pour se justifier : il y défend son terrain pied à pied, et parle avec l’accent d’un honnête homme. Les protecteurs qu’il avait parmi les membres du Conseil eurent assez de crédit pour étouffer cette affaire, qui eût pu entraîner pour lui un nouvel exil. Néanmoins, pendant les années qui suivirent, il demeura suspect, et l’on épia ses démarches. Il inspirait un grand attrait aux personnes sérieuses, que la prudhomie attire : « Il va du monde chez lui comme en procession disaient ses adversaires. Le Consistoire entendit maintes fois les plaintes et les doléances des pasteurs sur ses agissemens. Un jour enfin, les membres de ce corps se trouvèrent très soulagés en apprenant que