ceux qui dans leur adolescence avaient suivi tranquillement les leçons de leurs maîtres, et pris la file avec leurs camarades.
On s’est raillé quelquefois du contraste des belles et fécondes théories de Y Emile, avec le plein insuccès de l’auteur quand il fut, à Lyon, précepteur des enfans de M. de Mably. Mais auparavant Rousseau avait eu affaire à un bon élevé, à lui-même, veux-je dire : c’est là qu’il faut voir ce que valait sa méthode. Il était à la fois le maître et l’élève, et tous deux réussirent merveilleusement. Le plan d’études que Rousseau suivit aux Charmettes sera toujours digne d’être médité.
Dans l’état de langueur où vivait Rousseau à ce moment de sa vie, il se croyait menacé de mourir jeune : cette pensée l’attendrissait sans l’assombrir, et dirigeait son esprit vers l’étude de la philosophie religieuse. La Profession de foi du Vicaire savoyard, qui fut écrite vingt ans après, était en germe dans les réflexions qui naissaient chez l’étudiant, assis au milieu de la verdure, un livre à la main, que bientôt il ne lisait plus, et cherchant à mettre ses idées en ordre, à accorder les traditions qui lui avaient été enseignées avec les vues des philosophes et leurs systèmes divers, qu’il se fâchait de trouver incompatibles.
Jean-Jacques avait été un enfant intelligent et précoce. Les instructions du pasteur Lambercier, et plus tard les prêches du dimanche, auxquels il assista régulièrement jusqu’à la fin de sa seizième année, lui avaient donné des principes religieux. Genève à cette date était encore une espèce de cité de Dieu où la croyance faisait corps avec le sentiment patriotique. Tout l’entourage du jeune Rousseau était attaché à la foi chrétienne et protestante. Quand il entra dans un atelier de graveur et qu’on dressa son contrat d’apprentissage, son maître promit « de l’élever et instruire en la crainte de Dieu et bonnes mœurs. » Lui-même, avec la docilité de son âge, acceptait sans les discuter les enseignemens des pasteurs. Sans doute, il y avait des incrédules à Genève déjà dans les premières années du XVIIIe siècle. C’est alors que Robert Vaudenet déclarait « qu’il ne croyait ni en Jésus-Christ, ni en la Vierge Marie, ni en la rédemption du genre humain par la mort de Jésus-Christ ; — qu’il ne croyait aucune révélation, mais seulement ce que la raison naturelle lui pouvait dicter ; » et il ajoutait « qu’il y avait dans Genève quantité de personnes très distinguées et très éclairées qui étaient dans les mêmes sentimens. » De ceci on peut douter : il n’y avait pas sans doute autant d’esprits forts que le prétendait Vaudenet (qui