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corporel[1]. On comprend d’ailleurs que, outre l’identité de race, nous avons ici une identité de milieu physique et de milieu moral, c’est-à-dire de religion, de genre de vie ; il n’est donc pas étonnant que les individus d’un même groupe et d’un même milieu soient du même moule par le caractère comme par la constitution.

Mais, d’autre part, les milieux physiques étant différens et les communications mutuelles étant peu fréquentes à l’origine de la civilisation, les divers groupes humains, presque fermés alors, devaient finir par se différencier les uns des autres, par suivre chacun sa ligne propre. La même raison qui établissait alors des ressemblances très grandes entre les individus d’un seul groupe ethnique rendait donc dissemblans les groupes eux-mêmes, en les isolant les uns des autres. Jusque dans des temps aussi voisins de nous que le moyen âge, les diverses provinces de France avaient leur physionomie tranchée : un Picard ne ressemblait guère à un Auvergnat ; en revanche, les Picards se ressemblaient entre eux, et tous les Auvergnats.

La seconde période, antithèse de la précédente, est celle où les différences de constitution physique et de caractère moral vont diminuant entre les diverses races ou peuples, mais augmentent entre les divers individus d’une même race ou d’un même peuple. M. Durckheim[2] fait remarquer, par exemple, que les Anglais, en général, ressemblent plus aujourd’hui aux Français qu’autrefois, mais qu’un Français ressemble moins à un autre Français, un Anglais à un autre Anglais. Les différens types provinciaux, dans une même nation, tendraient aussi à devenir moins disparates : un Lorrain ressemble plus aujourd’hui à un Provençal qu’autrefois. Les différences tendent donc à passer surtout dans les individus, dont les caractères se font moins originaux. La race pèse d’un moindre poids sur les membres d’une nation.

A notre avis, l’humanité approche aujourd’hui d’une troisième période, synthèse des deux précédentes, où les ressemblances croissantes n’empêcheront pas les différences croissantes. Toutes les similitudes provenant de la vie sociale augmentent avec la civilisation ; les mêmes idées scientifiques, les mêmes croyances morales et religieuses, les mêmes institutions civiles et politiques se répandent par le monde entier. Les peuples d’une même civilisation tendent donc à se ressembler de plus en plus sous ce rapport. En même temps l’uniformité croissante d’instruction et d’éducation tend à faire passer tous les individus dans un même moule social. Enfin les mélanges et croisemens des familles, des peuples, des races, tendent aussi à généraliser partout un seul et même

  1. Waitz, Anthropologie der Naturvoelker, I, 75 et suiv.
  2. Voir la Division du travail social. Paris, Alcan.