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mais elle était restée, je l’ai dit, inquiète et soupçonneuse, comme l’ambassadeur d’Angleterre lui-même. L’attitude du général de Hess contribua à tenir sa défiance en éveil. Son intérêt lui commandait, d’autant plus, de se faire représenter à Vienne, dans de si graves circonstances, par un agent d’un ordre supérieur, en mesure d’y défendre ses revendications. Or elle y entretenait, depuis l’origine de ces complications, un diplomate d’un rang secondaire, Aarif-Effendi, ne possédant la connaissance d’aucune langue étrangère et ne pouvant communiquer soit avec ses collègues, soit avec les ministres du gouvernement auprès duquel il était accrédité, sans le concours d’un interprète. La Porte cependant le maintint à Vienne malgré les impérieuses nécessités du moment dans la pensée, chère à l’ambassadeur d’Angleterre, que les résolutions finales seraient portées et conclues à Constantinople.

En décidant de réunir, une seconde fois, la conférence à Vienne, le cabinet de Paris et celui de Londres furent d’avis que la Turquie devait y participer par un représentant d’une compétence notoire, pouvant débattre, avec l’autorité nécessaire, les questions mises en délibération et non se borner, comme Aarif-Effendi, à prendre uniquement ad referendum les communications qui lui seraient faites. Je reçus donc des instructions qui m’ordonnaient de presser instamment la Porte de faire choix, sans plus tarder, d’un plénipotentiaire digne de ce nom. J’avais lieu de penser que l’entente, intervenue à ce sujet entre Paris et Londres, pourrait être continuée à Constantinople et que l’ambassadeur d’Angleterre unirait ses démarches aux miennes. Il n’en fut rien. Prétextant qu’il ne lui était parvenu aucune instruction dans ce sens, lord Stratford jugea convenable de s’abstenir. Espérait-il, en gagnant du temps, modifier les résolutions de son gouvernement et le décider à changer de voie ? J’eus lieu de le présumer, mais je ne dus pas moins agir sans son concours, et j’en fus réduit à représenter aux conseillers du Sultan que les puissances négocieraient sans la participation de la Turquie, la présence de Aarif-Effendi devant nécessairement rester fictive, s’ils n’accédaient pas au désir que j’étais chargé de leur exprimer. La conférence ayant tenu une première réunion et l’ambassadeur d’Angleterre ne rompant pas le silence dans lequel il s’était obstinément renfermé, la Porte comprit que mes prévisions n’étaient pas dénuées de fondement, et elle désigna, pour la représenter à Vienne, Aali-Pacha, ministre des affaires étrangères. Ce choix répondait pleinement au vœu de ses alliés. D’une intégrité qui ne s’est jamais démentie, Aali-Pacha réunissait, à une instruction professionnelle acquise dans les différentes missions qu’il