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des partisans du crâne large. M. Anoutchine, qui est Slave, soutient la supériorité des brachycéphales ; retournez-vous, de grâce. D’autres pensent, avec Virchow, que, si la tête s’élargit et doit s’élargir encore davantage avec le temps, c’est pour donner place à tout ce que le progrès des connaissances l’obligera de contenir. La forme arrondie est celle qui permet de loger, dans le moindre espace, le plus de masse cérébrale. Cependant, ajoutent-ils, le volume du cerveau ne pourra pas gagner trop notablement, pour des raisons d’équilibre de la tête et d’harmonie de ses parties : les lobes antérieurs pourront grossir, mais seulement jusqu’à ce que l’axe de gravité passe au milieu même de la base du crâne ou un peu en avant ; plus avant encore, les yeux se trouveraient gênés, enfoncés sous le crâne. Tous les anthropologistes s’accordent d’ailleurs à admettre qu’en fait la dolichocéphalie sera remplacée par une brachycéphalie universelle. Le progrès va-t-il donc à reculons, depuis les dolichocéphales préhistoriques des cavernes jusqu’à nous, qui avons le tort d’élargir nos crânes ?

Selon M. Galton, si les bruns vont l’emportant, c’est que la santé est plus grande chez eux, ce qui semble résulter des statistiques relatives à la guerre de sécession en Amérique. Selon M. de Candolle, l’augmentation du pigment chez les bruns suppose une élaboration plus complète et plus de vigueur. Les blonds seraient moins robustes, comme les fleurs pâlies, et seraient obligés par là même d’être plus intelligens ; de là une sélection graduelle en faveur de l’intelligence ! Que ne fait-on pas accomplir à la sélection ? Selon d’autres, les Celto-Slaves l’ont emporté précisément parce qu’ils se sont tenus plus tranquilles que les hommes du Nord et les ont laissés s’entre-détruire ; mais, quand la lutte sera portée sur le terrain économique, ils seront battus par les blonds. Selon d’autres encore, les blonds ne pourront pas lutter, même sur ce terrain, parce que le théâtre de la lutte est surtout dans les grandes villes, où les dolicho-blonds accourent, mais pour s’y éteindre bientôt[1].

Impossible de se lier à toutes ces inductions contradictoires.

  1. La dolichocéphalie domine, selon les recherches de M. Ammon, dans les villes par rapport aux campagnes, dans les classes supérieures des lycées par rapport aux classes moyennes, dans les institutions protestantes par rapport aux institutions catholiques (où la brachycéphalie est remarquable dans le duché de Bade). M. Ammon a fait aussi des observations amusantes sur les types des sénateurs badois. Parmi les individus ruraux, les dolicho-blonds, étant d’humeur entreprenante et voyageuse, subissent l’attraction des villes et viennent y chercher leur gain. Par conséquent, les campagnes perdent de plus en plus leurs dolichoïdes et deviennent de plus en plus brachycéphales. Les dolichoïdes, après avoir subi d’une manière particulière l’attraction des villes, y réussissent et parviennent à y prospérer pendant une ou deux générations, mais leur postérité y fond comme la neige au soleil. La défaite des hyperbrachycéphales immigrans dans les villes est plus rapide encore : ils disparaissent, en général, sans avoir réussi ; ils succombent à la concurrence industrielle et aux séductions de la vie urbaine, que leur manque de volonté les empêche de repousser. (Otto Ammon, la Sélection naturelle chez l’homme dans l’Anthropologie, 1892.)
    M. Georges Hansen, — dans son ouvrage sur les Trois degrés de développement des populations, — prouve, par la statistique de villes allemandes, que la population des villes se renouvelle presque complètement par des immigrés au cours de deux générations ; et comme ces immigrés sont surtout des dolichoïdes, on peut dire que les villes modernes sont des gouffres où viennent s’engloutir les dolicho-blonds ; elles contribuent à les faire disparaître comme y ont contribué les guerres, les croisades, la Révolution française, etc. La lutte industrielle et commerciale, dont les villes sont les principaux centres, serait donc, elle aussi, jusqu’à un certain point une « lutte de races. »