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l’attraction ; il tombe plus bas et plus mal que d’autres, qui n’auraient eu ni sa belle humeur, ni son insolent parti pris de bravade. — Avec cette interprétation, disparait la thèse que nous avions cru distinguer. Le roman y gagne peut-être en signification et en hauteur. M. Sudermann n’y démontre plus une vérité, — sur laquelle du reste il semble plutôt hésitant et perplexe ; il se contente de nous livrer un récit saisissant, dramatique, dont l’intérêt dépasse la simple exposition des faits et se reporte sur leurs causes, — sur l’enchaînement même de nos actes dont le mystère sera toujours l’attrait le plus haut de nos curiosités.

On peut ajouter qu’il a traité son sujet avec un art très ferme. M. Sudermann, — nous l’avons déjà remarqué, et le Passé confirme notre observation, — paraît destiné à introduire dans la littérature de son pays quelques-unes au moins de nos formes, une part de notre rhétorique, surtout l’art de composer, c’est-à-dire d’arranger les parties d’une œuvre et de les combiner en vue de l’effet de l’ensemble. Les succès qu’il a remportés sur la scène allemande et ceux qu’il remporte parmi nous, nous appartiennent donc un peu : il n’est point, comme d’autres que nous avons trop fêlés, un véritable étranger, un « barbare » qui nous étonne si fort, que nous sommes enclins à prendre notre étonnement pour de l’admiration. Il est presque un des nôtres ; et, s’il nous révèle des mœurs différentes, une conception de la vie et une sensibilité qui sont bien d’un autre pays, du moins nous les montre-t-il sans nous effaroucher. Il n’arrive pas en révolutionnaire : ce qui ne l’empêche point d’apporter du « nouveau » ; mais il y met de la discrétion : ce dont il faut lui savoir gré.


EDOUARD ROD.