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que dévore la nostalgie de la maison, qui meurt d’ennui, qui supplie, en des lettres désolées et touchantes, qu’on vienne le chercher ou qu’on le rappelle. On ne l’écoute pas. On le condamne même à passer dans son institution les vacances de Noël. Et, comme la veille de Noël est une journée très remplie, la caisse de jouets qu’on lui destine ne part pas à temps. L’enfant se sent abandonné, se désespère : il s’enfuit dans le froid, dans la neige. Une fluxion de poitrine se déclare et l’emporte en peu de jours, sans que sa mère l’ait revu.

C’est alors que se révèle toute la sécheresse d’âme, tout l’égoïsme, toute la lâcheté de Félicitas. Tandis que la mort du petit Paul désole Ulrich et achève de remuer jusqu’au désespoir la conscience tourmentée de Léo, elle joue la comédie, elle feint des crises de nerfs, elle jongle avec du poison, elle avale une petite dose de morphine avec beaucoup de sirop de framboise, conservant d’ailleurs toute sa liberté d’esprit, calculant ses larmes, ses palpitations et ses égaremens pour amener son complice à ses fins, c’est-à-dire à s’enfuir avec elle. Leo ne l’aime plus, s’il l’a jamais aimée, mais il se sent rivé à elle par la chaîne de leurs fautes, par ce passé qu’il a voulu expier et qui l’a reconquis, par les deux morts que leur amour a coûtées. Il finit par lui proposer de partir et de mourir ensemble. Elle feint d’accepter, bien résolue à éviter la mort. Mais il se méfie, il la presse, et, comme elle le croit armé, elle appelle au secours. Son cri amène Ulrich, qui voit et qui devine :


« Léo ne sentit aucun effroi, aucun étonnement. « A présent, il sait, » pensa-t-il. Et il n’éprouva plus qu’une espèce de curiosité froide de ce qui allait se passer.

— Parle, dit Ulrich d’une voix qui lui était étrangère : comment en es-tu là ?

« Il semblait grandir, grandir toujours.

— Parle, parle donc ! répéta la voix étrangère.

— Il a voulu me tuer, gémit Félicitas, agenouillée devant lui. Parce que… je ne voulais pas… faire… sa volonté. Alors il a voulu me tuer.

« Les poings de Léo s’agitèrent. Il fit un pas en avant, comme pour l’écraser. Mais le regard d’Ulrich l’arrêta.

— Ne l’écoute pas ! bégaya-t-il. Je suis là. Tue-moi !

« La haute figure d’Ulrich chancela. Une longue main osseuse s’appuya contre la porte.

« Va-t-il supporter cela ? » se demandait Léo, prêt à s’élancer pour le soutenir.

« Mais Ulrich se domina.