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réconfortans. Il en sera ainsi jusqu’au moment où les ressources et les moyens de l’un des combattans seront notablement supérieurs à ceux de l’autre. Pour triompher de la résistance que nous rencontrons, il nous faut donc une armée plus nombreuse et une plus puissante artillerie. Or nous touchons à l’hiver qui entravera nos opérations en neutralisant notamment nos moyens de transport. C’est donc une campagne à recommencer au printemps, et nous pourrons l’achever seulement au cours de l’été prochain. » Ce langage, le prince Napoléon le tenait à la fin de novembre 1854 et nous ne nous sommes emparés de la place qu’en septembre de l’année suivante, après avoir doublé, triplé nos effectifs et les avoir munis d’un parc de siège auquel il a fallu ajouter les canons de nos vaisseaux servis à terre par des officiers de marine. Les prévisions du prince n’étaient donc que trop fondées comme le jugement qu’il portait de l’étal réel des choses sur le plateau de la Chersonèse.

La bataille de l’Aima fut un jour de gloire et de deuil à la fois. Le maréchal de Saint-Arnaud fut ressaisi, dès le lendemain, en plein succès, par la maladie qui le guettait, et terrassé avant d’arriver devant Sébastopol. On l’embarqua en toute hâte et il succomba, le 20, durant la traversée de la Mer-Noire. J’eus le devoir de recueillir sa dépouille et de la déposer dans la chapelle de l’ambassade à Therapia. ; elle reposait, dans le cadre où il était mort, recouvert du drapeau national. Je fis célébrer, le lendemain, un service funèbre auquel, selon le vœu de la maréchale de Saint-Arnaud, qui avait suivi son mari en Orient, ne furent conviés que les officiers attachés à la personne du maréchal, les chefs de service, et tout le personnel de l’ambassade. L’ambassadeur d’Angleterre, suivi de ses secrétaires et de ses attachés, voulut s’unir à nous et assista à la cérémonie. Je rendis les restes mortels du maréchal au Berthollet, à bord duquel il était mort et qui reçut la mission de les ramener en France. Voulant donner un témoignage public de ses regrets, le Sultan ordonna à ses ministres de la guerre et de, la marine d’escorter, sur deux bâtimens de guerre ottomans, couverts de leurs pavois en deuil, le Berthollet, jusque dans la mer de Marmara. Au passage du convoi toutes les batteries le saluèrent de leur artillerie. Plein de confiance dans la valeur de ses troupes et convaincu qu’il les conduirait à la victoire, le maréchal avait remonté le Bosphore, le cœur rempli des plus nobles espérances ; peu de semaines après il le descendait au bruit du canon qui retentissait pour rendre hommage à sa mémoire.

Si l’armée rencontrait, devant Sébastopol, des obstacles malaisés à vaincre, la diplomatie, de son côté, se heurtait à de