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c’est la combustion du silicium. À ce bruit se joint, durant les huit minutes suivantes, une flamme qui, par la gueule de l’appareil, s’échappe rugissante et tellement vive que, même en plein midi, les objets environnans projettent des ombres noires sur les murs de l’usine. C’est la combustion du carbone. Puis la flamme s’éteint, le bruit cesse ; on ne voit plus sortir qu’une fumée rougeâtre, intense. C’est le phosphore qui brûle. Enfin l’appareil s’incline majestueusement vers nous et, à ce moment, il en sort un bouquet de feu d’artifice, un éventail formidable d’étincelles. L’opération est terminée ; une autre recommencera tout à l’heure dans le convertisseur voisin.

Celle-ci a duré en tout de 14 à 15 minutes, avec une précision mathématique. Si on la prolongeait davantage, on brûlerait du fer, il y aurait perte ; si l’on cessait trop tôt, l’acier serait imparfait. Cet acier liquide est immédiatement versé dans les lingotières, sortes de moules d’une fonte spécialement préparée pour cette destination.

Quant au résidu de 3 500 kilos environ, demeuré dans la cornue, il représente maintenant une richesse : ce sont les « scories de déphosphoration », avidement recueillies par l’agriculture, pour qui elles constituent un engrais de premier ordre. Ces blocs immenses seront broyés en une poussière assez fine pour que les plantes auxquelles on l’offrira puissent absorber vite, et sans en rien perdre, sa teneur en phosphore. Quelques aciéries se livrent elles-mêmes à ce travail de mouture ; la plupart vendent leurs scories phosphoreuses à des intermédiaires qui, pour en tirer profit, ont fait à l’envi les uns des autres une publicité avantageuse aux détenteurs de cet engrais. Si bien que ce phosphore, naguère odieux aux industriels de la métallurgie, non seulement ne les gêne plus, mais leur rapporte. Les 2 000 kilos de chaux introduite dans le convertisseur n’ont coûté que 28 francs. Les 3 500 kilos de scories phosphoreuses qui en sortent sont vendues, brutes, environ 80 francs. Ici d’ailleurs le bénéfice du maître de forges n’est qu’apparent ; le gain réel est pour l’ensemble des consommateurs. L’arrivée d’un nouvel engrais artificiel sur le marché tend à faire baisser les prix de cette marchandise indispensable aux agriculteurs ; et le profit des usines sur cet engrais leur permet de réduire, d’un chiffre correspondant, le prix de la tonne d’acier livrée au commerce.

Le rôle de ces « sous-produits », l’art d’accommoder les restes, est toujours une partie bien ‘curieuse de l’organisation contemporaine, — à Paris, la Compagnie du gaz y trouve le plus clair de ses dividendes. — On m’a montré, aux forges de Jœuf, une sorte