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métallurgique, qui obligeait la fonte, avant de prétendre au grade supérieur d’acier, à stationner dans l’état intermédiaire de fer. Cet échelonnement fut aboli en 1853 par Bessemer, qui inventa la promotion directe de la fonte à l’acier ; et démocratisa celui-ci au point que, dans un avenir peu éloigne, il se cotera sans doute plus bas que le fer. Cette révolution s’explique : non seulement le passage immédiat à l’acier économise la dépense du charbon qu’exigeait la façon du fer, mais, dans certaines usines de l’Est, la main-d’œuvre d’une tonne de fonte revient à 3 fr. 75 pour être transformée en acier, au lieu de 12 à 15 francs qu’elle coûterait pour être transformée en fer. L’écart, quoiqu’en partie atténué par certains frais supplémentaires de fabrication des fontes destinées aux aciéries, demeure néanmoins considérable. Si le fer n’offrait pas cet avantage, fort apprécié des forgerons, d’être plus facile à souder, plus commode que l’acier, par sa dureté moindre, à s’adapter dans les campagnes aux mille besoins de l’agriculture, ses jours à coup sûr seraient comptés.

Des diminutions de prix, analogues à celle que je viens d’indiquer, sont obtenues chaque année dans l’industrie moderne par l’emploi d’un nouvel outillage : ainsi, en 1893, la substitution du cubilot au creuset, pour la fonte malléable, a permis au Familistère de Guise d’abaisser de 107 à 67 francs le coût des 100 kilos de chaudronnerie qu’il livre au public. Pour une marchandise aussi importante que l’acier, c’était une découverte grosse de conséquences, que l’idée d’un affinage pneumatique consistant à faire passer, à travers le bain de fonte, un courant d’oxygène qui brûle les élémens étrangers du fer.

Il devait sembler éminemment paradoxal, à première vue, que de l’air froid, pénétrant dans la fonte en fusion, pût en élever encore davantage la température. Comme il arrive toujours en cas pareil, la théorie scientifique du procédé ne fut faite qu’après que la pratique en eut été trouvée, après de longs tâtonnemens. Ces tâtonnemens furent coûteux. L’inventeur était riche : avant de réussir il mangea 7 millions en expériences, — toute sa fortune, puis celle de son beau-frère, qui s’était associé à lui. — Le gros du problème une fois résolu, Bessemer avait constaté que son fer, au cours de l’opération, conservait de l’oxyde dissous qui le rendait cassant. Il s’aperçut alors que, si les minerais employés par lui contenaient une proportion appréciable de manganèse, comme ceux de Suède par exemple, l’acier était meilleur. De là lui vint l’idée d’ajouter du manganèse pur, importé d’Allemagne ou d’outre-mer, autant qu’il en faudrait pour que cette substance, plus oxydable que le fer, fît passer l’oxyde à l’état