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les éboulemens, ne s’acclimatent qu’après plusieurs essais infructueux. Cette substance minérale, qui a passé par la flamme, brûle les racines qu’on lui confie. Elle est très longue à redevenir terre, à acquérir la capacité de nourrir les végétaux.


III

Le haut-fourneau est débarrassé de ses scories à des intervalles inégaux, suivant l’appréciation du contremaître : la sortie de la fonte est plus régulière. Toutes les deux heures environ, on débonde le creuset, en retirant un tampon d’argile qui le bouche, et le jet de feu liquide s’élance, d’aspect en tout semblable pour le profane à celui du laitier, recueilli comme lui dans des récipiens mobiles. A ceux-ci toutefois on ne laisse pas le temps de se refroidir. Une locomotive les conduit en hâte à l’usine contiguë, où leur contenu va se transmuter en acier.

En trente heures, ce minerai que nous avons vu sortir des flancs de la colline, sous forme de roche, est fondu, coulé, converti, laminé. Il nous apparaîtra bientôt transformé en rails de chemin de fer. L’acier, que l’on fabrique aujourd’hui si aisément, en si grande quantité et à si peu de frais qu’il a évincé le fer de tous les emplois où ce dernier n’est pas indispensable, était jadis une préparation de pharmacie, très coûteuse à obtenir, dont il n’existait dans le commerce qu’un stock insignifiant et qui, par suite, était d’un prix inabordable. Le kilo se vendait 2 à 3 francs de notre monnaie aux XVIIe et XVIIIe siècles, — une partie venait d’Allemagne et d’autres pays étrangers ; — il vaut actuellement 0 fr. 12. Il y a cinquante ans à peine, il coûtait 0 fr. 50 ; enfin il n’y a pas quinze ans, lorsque l’on commençait à substituer le rail d’acier au rail de fer, — on sait qu’aujourd’hui il n’y a plus de « chemins de fer », mais seulement des chemins d’acier, — les compagnies du Nord et de l’Ouest s’estimaient très heureuses de payer ces rails à raison de 0 fr. 23 le kilogramme.

La première baisse de ce métal avait été la conséquence de l’abaissement proportionnel des prix du fer. Dès 1785 les Anglais avaient, les premiers, su tirer le fer de la fonte par le puddlage dont je parlerai plus loin. Les guerres de l’Empire, paralysant les relations entre les deux pays, la routine des maîtres de forges, et surtout les préjugés du commerce à l’endroit de ce fer nouveau, avaient retardé l’introduction en France des procédés d’outre-Manche, qui ne passèrent le détroit que sous la Restauration et ne se développèrent que sous Louis-Philippe. Ce système d’ailleurs ne supprimait pas la vieille hiérarchie du travail