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supérieure, dans de solides tuyaux qui l’amènent à la soufflerie. Là, il s’allume de lui-même, au contact de celui qui l’a précédé ; non seulement il chauffe l’air destiné à activer la fusion du métal, mais il remplace le charbon dans les chaudières des machines à vapeur qui actionnent les soufflets. C’est un calorique gratuit, si généreux et si complaisant qu’on emploie souvent à d’autres usages ce qu’on n’en peut utiliser dans la fonderie. Ainsi le four, sous ce rapport, s’alimente seul : le gaz chauffe et expédie le vent, le vent décompose les matières qui produisent le gaz.

Dans le minerai liquéfié, la division s’opère d’elle-même entre la fonte, que son poids entraine au fond du creuset et la scorie ou laitier, qui surnage. Les ouvriers auxquels incombe le soin d’écumer ce pot-au-feu infernal déplacent avec de longues barres de fer la plaque de gentilhomme, espèce de soupape protégée intérieurement par du sable amoncelé ; ils poussent une pièce mobile, la dame, et la lave, trouvant une issue, s’écoule au dehors, en ruisseau d’un rouge si vif qu’on a peine à soutenir sa vue, pour aller tomber dans des bassins énormes où elle ne tarde pas à se solidifier.

Cette marmite en tôle, doublée de briques, où s’accumulent ainsi huit à neuf mille kilos de pierre en fusion, est emportée, une fois pleine, par la locomotive qui va jeter son contenu au crassier. Le crassier, dépotoir des ordures de la forge, a commencé par être un simple tas de cendres noires ; de mois en mois, d’année en année, il a grossi, recevant tous les quarts d’heure un nouvel envoi de matières. Il s’est élevé, élargi ; c’est aujourd’hui une véritable montagne qui s’étale à quelque distance et modifie le relief naturel du sol. On lui a donné la forme d’un remblai de 3 kilomètres de long, de 40 mètres de haut et de 60 mètres de large au sommet, sur lequel sont posés les rails. La locomotive gravit la pente, poussant sur un wagon sa boite de scories devant elle. Au point d’arrivée, elle lance vers le bord du talus le wagon qui bascule, et le liquide de tout à l’heure, figé maintenant, se précipite dans le vide sous la forme d’un pudding large de 3 mètres, à l’écorce noire, dont on voit la nuit s’ouvrir les entrailles de feu, lorsqu’il se casse en roulant vers la vallée.

Cette lave, quoique refroidie, fermente encore durant des années ; elle se rallume souvent d’elle-même. Le sol que l’on foule là-haut est tiède, échauffé par une lente combustion souterraine, et parfois il s’y forme des crevasses inattendues où s’effondre une locomotive. Les plantations d’arbres vivaces, que l’on tente d’incruster sur les flancs du crassier, pour les soutenir et empêcher