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On calculait qu’il fallait 100 kilos de bois pour avoir 17 kilos de charbon et 100 kilos de charbon pour obtenir 34 kilos de fer ; soit une consommation de 1 700 kilos de bois pour un rendement de 100 kilos de fer. Une forge moyenne absorbait ainsi à elle seule la production annuelle de 2 000 hectares de forêts. Les plus vastes domaines n’auraient donc pu suffire longtemps à une fabrication un peu active. Cette fabrication, d’ailleurs, les lois en faisaient souvent un privilège : dans la Normandie du moyen âge les « ferons » ou barons fossiers avaient seuls le droit d’allumer des fourneaux, et chacun d’eux ne pouvait produire qu’une quantité strictement limitée. La hausse des bois ne tarda pas à rendre ces prérogatives illusoires. Dès le XVIIe siècle, à mesure que les défrichemens augmentaient, beaucoup de forges disparurent. Dans celles qui subsistèrent, la question du combustible, l’achat judicieux des bois, demeura la principale préoccupation du maître ; elle exigeait des déboursés énormes. Ces arbres, acquis sur pied, qu’il fallait abattre, carboniser, voiturer, conserver en vastes monceaux, immobilisaient un sérieux capital.

Le prix du fer s’en ressentait. Ce qui coûte aujourd’hui 12 fr. les 100 kilos coûtait, en tenant compte de la valeur de l’argent, 80 francs sous saint Louis ou sous Charles le Sage, 100 francs au XVIe siècle, 90 francs depuis Henri IV jusqu’à Napoléon Ier. Tout contribuait d’ailleurs à cette élévation des prix : non seulement le taux du minerai, qui se payait en moyenne trois fois plus cher que de nos jours, — bien que sa richesse lût identique à celle qu’il possède encore dans les mêmes gisemens, — mais aussi la main-d’œuvre. La forge de Messarge, dans l’Allier, qui produisait 150 tonnes de fer en 1794, employait, au dire du commissaire de la Convention, 500 personnes ; de nos jours le dixième de cet effectif serait proportionnellement suffisant. Ce haut prix du métal en paralysait l’usage : le Roussillon passait, au XIVe siècle, pour exporter dans les provinces voisines une certaine quantité de minerai ; d’après les comptes du péage, il se trouve qu’il n’en expédiait en réalité qu’une moyenne de quarante tonnes par an. Sur le territoire qui correspond à l’ancien département du Haut-Rhin, la vente du fer, qui constituait un monopole, était d’environ 100 000 kilos par an au début du xvii’* siècle. Dans la France contemporaine un district de même étendue ne saurait se suffire à moins de 15 millions de kilos — 150 fois plus qu’il y a trois siècles.

Trois grands consommateurs d’aujourd’hui : chemins de fer, bateaux, machines, n’existaient pas ; les besoins d’un quatrième, l’artillerie, étaient insignifians. Encore nos fabricans eussent-ils