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conseil que lui adressa Clarke. Arrivé le 22 avril, et quoique fort vexé du rôle de comparse auquel Bonaparte l’avait réduit, il écrivit à Delacroix : « Il fallait prendre un parti, et le prendre avec promptitude, c’est ce qu’a fait Bonaparte. Il connaissait mes instructions ; les propositions que j’eusse faites n’auraient point été acceptées. Les idées du Directoire exécutif sur la paix continentale et celles de l’empereur différaient essentiellement. Il fallait donc trancher le nœud gordien. Un nouvel Alexandre l’a fait et avec l’intention de servir efficacement la République. »

En attendant les ratifications de l’empereur, Bonaparte redescendit vers l’Italie. Le 25, à Gratz, il rencontra des délégués de Venise chargés de lui offrir les satisfactions qu’il avait réclamées, le 9 avril, dans sa lettre au doge : les satisfactions n’étaient qu’un en-cas : affirmation de la neutralité, promesse de cesser les arméniens, et de délivrer les « patriotes » emprisonnés. Le jeu de Bonaparte était de pousser les oligarques aux extrémités, de les discréditer en les humiliant, de susciter une révolution démocratique qui ruinerait l’ancien gouvernement, entraînerait l’anarchie et ouvrirait les portes à toutes les interventions, il exigea le désarmement général des paysans, et le licenciement partiel des Esclavons, l’expulsion du ministre d’Angleterre, le règlement entre les mains des agens français de la succession Thierry qu’il évaluait à vingt millions, l’arrestation des nobles suspects d’avoir provoqué l’assassinat des Français : « J’ai, dit-il, 80 000 hommes. Je ne veux plus d’inquisition, plus de Sénat, plus d’alliance avec vous. Je veux vous donner la loi. Vous ne voulez que gagner du temps. Votre gouvernement est vieux, il faut qu’il s’écroule. »

Les délégués repartirent, persuadés que le traité, dont ils ignoraient encore les dispositions, avait décidé de leur sort. Les ratifications autrichiennes parvinrent, le 30 avril, à Bonaparte qui se trouvait alors à Trieste. Il apprit, en même temps, que Hoche avait rompu l’armistice le 13, passé le Rhin le 18, battu les Autrichiens le 18, et que Moreau avait aussi passé le Rhin le 20. La nouvelle des préliminaires allait les arrêter dans leur offensive. « Nous n’aurions pas tardé à vous rejoindre, » lui mandait Moreau le 23 avril. Bonaparte perdait ainsi l’un de ses plus forts argumens en faveur du traité. On lui reprocherait dès lors à Paris d’avoir signé trop vite : quelques jours de plus, et l’on enlevait la rive gauche du Rhin. L’effet des préliminaires était, en partie, manqué. C’était pour Bonaparte un motif de plus d’offrir aux Directeurs, et de leur imposer au besoin, le moyen de développer ces préliminaires et d’en tirer, par la négociation, les avantages qu’il semblait avoir laissés échapper,