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dévouement de ses sujets, proclama l’insurrection en Hongrie, fit ouvrir des bureaux d’enrôlement, enfin déploya tout l’appareil d’une guerre nationale. Un courrier fut adressé à Pétersbourg, réclamant, avec instance, le secours solennellement promis par les traités et toujours différé. Thugut y croyait peu, et il disposait déjà ses filets. Jouant, comme Bonaparte et dans le même temps, du procès qu’il tenait ouvert avec Venise, il releva les infractions de cette république à la neutralité et se plaignit de sa partialité envers les Français. « J’espère, dit-il, à l’envoyé vénitien Grimani, que le Sénat va profiter des révoltes de Brescia et de Bergame pour s’unir à l’Autriche et couper la retraite aux Français. » Les rapports de l’envoyé autrichien à Venise montraient la république s’écroulant, et insinuaient que, le cas échéant, l’empereur pourrait trouver là son indemnité. Les révoltes de Bergame et de Brescia servaient ainsi les deux partenaires de cette astucieuse partie et leur fournissaient, par contre-coup, les prétextes dont ils avaient besoin. Si Venise se décide pour l’Autriche, se disait Thugut, elle contribuera à la destruction de Bonaparte ; si elle refuse, son refus fournira le moyen de la détruire.


V

Les généraux Merveldt et Bellegarde rencontrèrent Bonaparte à Indenburg, Ici 7 avril[1]. Ils s’informèrent aussitôt des conditions possibles de la paix. Bonaparte refusa de répondre tant qu’ils n’auraient pas de pouvoirs pour traiter ; puis, au cours de la conversation, évitant de s’expliquer sur l’Italie, il insinua la cession à la France des territoires autrichiens et allemands jusqu’au Rhin. Les Autrichiens se récrièrent : si l’empereur estime la paix impossible, dirent-ils, il sortira de Vienne ; il armera ses peuples, et s’exposera, à la tête de son armée, à toutes les chances de la guerre. Sur quoi Bonaparte répliqua que, s’il avait posé l’article du Rhin comme définitif et réservé celui de l’Italie, c’est qu’il admettait la discussion sur cet article-là. Ce propos encouragea les Autrichiens, qui consentirent un armistice de cinq jours et abandonnèrent à Bonaparte des positions qui assuraient son offensive contre Vienne, lis repartirent le 8 pour rendre compte à leur maître de cette première entrevue. Bonaparte jugea nécessaire d’avertir Clarke, qui était à Turin et sans lequel, d’après les instructions du Directoire, il ne pouvait rien conclure ;

  1. Sybel, loc. cit. ; Hüffner, Oestreich und Preussen gegenüber der französischen Révolution ; liv. II, les Préliminaires de Leoben.