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touchons au dénouement de cette ridicule comédie. Vous êtes témoin du prix que j’attachais à la paix… Quelque chose qui puisse arriver, je vous prie d’assurer Sa Sainteté quelle peut rester à Home sans aucune espèce d’inquiétude. Premier ministre de la religion, il trouvera, à ce titre, protection pour lui et son Église… Mon soin particulier sera de ne point souffrir qu’on apporte aucun changement à la religion de nos pères. » Il le proclame en entrant à Bologne le 1er février ; mais, en même temps, il déclare que tout village où l’on sonnerait le tocsin sera brûlé ; les municipaux seront fusillés ; toute commune où un Français serait assassiné payera une contribution et livrera des otages ; les prêtres qui transgresseront les préceptes de l’Evangile, « seront traités militairement ». De Forli, où il séjourna le 3 et le 4 février, il fait encore écrire à Rome, par l’archevêque : Bonaparte n’est pas un Attila ; Pie VI ne doit point redouter sa présence ; mais s’il s’avise de quitter Rome, la ruine entière de l’Eglise en sera la conséquence. Un abbé, Fume, se chargea du message.

Colli, découragé par l’attitude piteuse des troupes qu’il doit commander, se relire devant les Français. Le 5 février Bonaparte entre à Ancône ; le 9, il envoie Marmont à Lorette s’emparer du fameux trésor. Le trésor est vide. Marmont ne trouve que la madone qui est en bois, et on l’envoie au Directoire. Il y en avait une autre à Ancône, qui passait pour miraculeuse ; elle ouvrait, disait-on, les yeux et les fermait, ce qui, en Italie, passait pour un signe considérable. Bonaparte se la fit apporter, la palpa pour voir s’il n’y avait point quelque mécanisme caché. Les yeux ne bougèrent point. Il rendit la statuette aux chanoines, avec le diadème en perles fines dont elle était ornée, et les peuples ne surent ce qui devait les effrayer davantage, des sacrilèges des Français ou de l’inertie de la madone. Il y avait dans le pays un grand nombre de prêtres français proscrits. Bonaparte les rassure et les encourage. « Ces prêtres nous sont fort attachés, écrit-il au Directoire, et beaucoup moins fanatiques que les Romains… Ils sont très misérables… Les trois quarts pleurent quand ils voient un Français… Je tirerai de ces gens-là un grand parti en Italie. » Il n’ajoute pas : en France ; mais c’est à la France surtout qu’il songe.

Il semble que toute sa destinée fermente en germe dans cette campagne. Le grand rêve qui a traversé l’esprit de Sieyès et du Comité de salut public : les Anglais chassés de la Méditerranée, la Méditerranée lac français, s’empare de son imagination et ne cessera plus de l’obséder. Il visite le port d’Ancône, il voit l’Adriatique, et son esprit l’emporte au-delà de cette mer ; il voit