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confiance que nous réussirons à faire peut-être de bonnes affaires du côté de l’Italie[1]. »

C’était l’esprit des ordres envoyés à Allvintzi le 5 décembre. Mais le 9, tout change de face. Le bruit de la mort de Catherine II se répand à Vienne. « Nos désastres seraient à leur comble ! » s’écrie Thugut. Le 10, la nouvelle est confirmée. Les dispositions du grand-duc héritier sont connues : Catherine soufflait la guerre, si elle ne la soutenait pas, et contenait Frédéric-Guillaume, si elle ne le combattait point. Paul est tout à la paix et tout à la Prusse. En même temps, on annonce que Bonaparte va recevoir des renforts. Thugut est atterré : « Sans armée, sans finances, avec tous les désordres intérieurs de notre administration », que faire, sinon en imposer par le ton et l’attitude ? L’Autriche ne peut plus espérer d’ « indemnisation » en Orient ; le dernier projet de partage tombe avec Catherine. Peut-on faire fond sur les conventions de 1793, et attendre de Paul Ier, inféodé à la Prusse, qu’il force cette cour, malgré son intérêt évident, à livrer la Bavière à l’empereur ? Thugut ne le pense pas. Il ne voit donc plus de gain possible que du côté de l’Italie : Venise et les Légations. Il se cramponne à cette espérance ; mais il ne tient point Venise, et l’armée française occupe les Légations. Toutefois, Venise, en laissant Bonaparte mettre garnison à Brescia et à Vérone, a fourni un prétexte de représailles, et Thugut, comme Bonaparte, a son procès ouvert contre cette république. Quant aux Légations, c’est à Allvintzi d’en chasser les Français. Wurmser tient encore Mantoue, et tant qu’il la tient, Bonaparte sera en suspens, compromis, perdu peut-être.

Sur ces entrefaites, arrive l’avis de la mission de Clarke ; ce général demande des passeports pour Vienne. Thugut, jugeant que ce voyage n’aurait pour objet que d’espionner et d’intriguer, ne veut point le permettre ; il veut encore moins envoyer un plénipotentiaire à Paris, où le Directoire vient de faire ses preuves de courtoisie diplomatique en éconduisant Malmesbury « à coups de pied dans le derrière ! » Mais comme il faut occuper le tapis, en attendant qu’Allvintzi ait frappé des coups décisifs, Gherardini, ministre de l’empereur à Turin, s’abouchera avec Clarke, et le colonel de Vincent sera adjoint, pour les questions militaires, à ce négociateur d’apparat. Pour ménager l’opinion européenne et les peuples d’Allemagne qui réclament la paix et se soucient peu des « bonnes affaires » de l’Autriche en Italie, pour capter surtout, en France, le parti modéré et paralyser le Directoire, on tiendra des conférences solennelles, on dressera des protocoles

  1. Lettre à Colloredo, 20 novembre 1796.