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les fonctionnaires administratifs de la guerre et de la marine dans les soins qui leur étaient dévolus pour assurer tous les services, notamment le service hospitalier qui a exigé l’établissement de vingt-deux mille lits pour nos blessés et nos malades. La tâche était ardue dans un pays dépourvu d’industrie ; elle nous mettait en compétition avec nos alliés. Les bons Turcs nous abandonnaient, sans résistance, tous les bâtimens construits en pierre, écoles, quartiers, casernes, susceptibles d’être convertis en hôpitaux et en magasins, ne pouvant abriter nos approvisionnemens sous des constructions en bois. À ces nécessités venaient s’ajouter pour nous les difficultés que nous créait l’impérieux représentant de l’Angleterre ; il exigeait la grosse part, bien que l’armée britannique, moins nombreuse que la nôtre, n’eût pas une somme égale de besoins. Il surgit ainsi, entre les deux ambassades, comme au sujet de certaines questions politiques, des dissentimens regrettables ; il me faut, avant d’en définir le caractère et l’importance, reprendre les choses au point où je les ai laissées lors de la retraite du prince Menschikoff.

M. de Lacour n’eut à soutenir que les premières escarmouches. Sa santé gravement atteinte ne lui permettant pas de déployer toute l’activité que comportaient les circonstances, il fit un court séjour à Constantinople ; il céda son poste au général Baraguey d’Hilliers en novembre 1853. L’imminence de la guerre porta le gouvernement français à faire choix d’un militaire haut placé, pouvant d’avance étudier le terrain de la prochaine lutte et en calculer les exigences. Caractère altier et ferme, cassant au besoin, on le disait du moins dans l’armée, le général avait le sentiment des devoirs que lui imposait la dignité des fonctions qui lui étaient confiées ; il affirma hautement, dès le début, sa résolution de ne subir ni contrainte, ni mauvais procédés, d’occuper son rang à côté de celui de son collègue anglais. La lutte, entre les deux représentans, se trouva bientôt engagée. J’ai rappelé comment elle s’est terminée ; mais il ne saurait être sans intérêt, pour les esprits curieux, de revenir sur l’incident final dont j’ai déjà entretenu le lecteur et d’en fixer rapidement les détails.

Entraînés par la grande idée, si peu favorisée qu’elle fut par la Russie, tous les partis en Grèce s’imaginèrent, dès que la guerre put être prévue, que le moment approchait d’étendre les frontières du royaume. Sous l’empire de cette conviction, des bandes armées pénétrèrent en Epire et en Thessalie avec le dessein avoué de s’emparer de ces provinces. Loin d’y mettre obstacle, le gouvernement hellénique, par son abstention, encourageait cette agression que rien n’avait provoquée. Après de vaines représentations la Porte dut rompre ses relations avec la Grèce