Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

singulièrement atténué les alarmes du monde civilisé. Confiant dans la droiture des sentimens qui unissent désormais la France et la Russie, l’opinion publique en a ressenti un soulagement réconfortant. Les manifestations de Paris et de Toulon, après colles de Pétersbourg, justifient et consolident l’évolution dont l’empereur Alexandre III a pris l’initiative et qui lui garantissent une place glorieuse dans l’histoire de notre temps.

Je reviens au prince Menschikoff, dont la mission prouve bien que les temps étaient changés, qu’il convenait de choisir un nouveau terrain et d’autres alliés. Pendant qu’il poursuivait ses négociations, se heurtant à des assurances dilatoires, la France et l’Angleterre s’étaient rapprochées et prenaient deux résolutions qui apprenaient à l’Europe qu’elles s’étaient entendues pour réunir leurs efforts et protéger la Turquie. Elles décidaient d’une part de hâter le retour de leurs ambassadeurs à Constantinople et de donner l’ordre à leurs escadres de se rapprocher des Dardanelles. Lord Stratford de Redcliffe vint, peu de jours après, reprendre possession de son poste, et le nouveau titulaire de notre ambassade, M. de Lacour, ne tarda pas à le rejoindre. Cette double manifestation rendit son courage à la Porte : soutenue par la présence des représentans des deux puissances occidentales, elle se montra résolue à ne faire aucune concession compromettante. L’envoyé de Russie persista néanmoins dans ses démarches ; elles furent courtoisement déclinées. Mis en demeure de faire connaître clairement ses intentions, le gouvernement ottoman ne dissimula plus sa détermination de n’entrer en aucun arrangement particulier avec la Russie ; le prince Menschikoff rompit aussitôt les relations officielles de sa cour avec la Porte ; il quitta Constantinople avec tout son personnel et se retira à Odessa. Malgré de vaines tentatives pour renouer les fils rompus, une armée russe envahit et occupa les Provinces danubiennes ; elle eût franchi le Danube sans la vigoureuse résistance qu’elle rencontra devant la place de Silistrie. La guerre, dès lors, n’était pas seulement inévitable, elle était déclarée ; elle éclata avec les alliés du Sultan après la destruction d’une division de la flotte turque dans le port de Sinope où elle fut surprise par une division de la flotte russe.


III

Je ne suivrai pas notre armée en Crimée. Son héroïsme, son endurance, ses qualités chevaleresques, ont séduit une plume digne d’elle. Ce que je puis dire, c’est que je l’ai servie pendant toute la durée de la campagne, en secondant, de tous mes efforts,