Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 128.djvu/24

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

efficace, la correspondance officielle en fait foi. Mieux éclairée, la Porte renonça à son projet, et l’ordre avait été donné au commandant des troupes turques de rentrer en Albanie quand le prince Menschikoff arriva à Constantinople. Le Monténégro lui échappant, il dut se borner à mettre en avant, dans ses premiers entretiens avec les ministres turcs, la nécessité et l’urgence de garantir désormais les grecs contre toute nouvelle revendication des catholiques. Il laissa pressentir toutefois, sans plus tarder, qu’il convenait, si on voulait rassurer les consciences et mettre les bonnes relations internationales à l’abri de tout nouveau trouble, de prendre d’autres arrangemens. De quelle nature devait être ce nouvel accord ? Il désira s’expliquer à cet égard avec le Sultan lui-même dans une audience sans témoins. Il eut, avec ce souverain, un premier entretien ; il en eut un second ; il dut en venir cependant à conférer avec les ministres turcs du véritable objet de sa mission. Quel était cet objet ? La conclusion, entre les deux empires, d’un traité autorisant la Russie à veiller sur le sort des chrétiens en Turquie, si le Sultan n’aimait mieux leur assurer les garanties qui leur étaient dues à l’aide d’actes émanant de sa volonté, rendus publics, et notifiés par la voie officielle à l’empereur Nicolas. Grâce à certaines doctrines qui ont prévalu de notre temps, le résultat eût été le même dans l’un et l’autre cas.

Que faut-il conclure de ces divers incidens ? J’oserai dire que la Russie, dans ces circonstances, n’eut nullement l’intention de s’en prendre à la France, ni à son crédit bien diminué dans le Levant : elle visait un autre adversaire plus redoutable, celui qui l’avait dépossédée de sa prépondérance. Et n’est-il pas permis, dès lors, de croire que, si elle eût eu la pensée d’entrer en communication avec le cabinet de Paris, de se concerter avec lui, elle aurait trouvé l’occasion de relever son prestige sans courir une formidable aventure, sans nous contraindre à nous allier à l’Angleterre, sans provoquer la guerre d’Orient, qui lui a été funeste ? Qui peut affirmer qu’à cette époque, comme de nos jours, un rapprochement n’eût été plus profitable à l’une et l’autre puissance que la politique qu’elles ont pratiquée chacune de son côté ? Pas plus qu’aujourd’hui, nul obstacle, nul intérêt ne s’y opposait. Encore une fois, la question des Lieux saints n’a imposé au cabinet de Pétersbourg ni ses déterminations, ni ses armemens dans la Russie méridionale, et le langage que me tenait l’envoyé du tsar m’a, chaque jour, confirmé dans cette persuasion. Lui-même la connaissait mal ; ce qu’il en disait dans nos entretiens prouvait clairement qu’il ne s’en était pas préoccupé sérieusement, qu’il l’avait imparfaitement étudiée, que pour lui elle était d’un intérêt