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n’est pas loin de ressembler à un : « La bourse ou la vie ! » avec la différence que c’est eux qui refusent la bourse si la Chambre ne consent pas à donner la vie à leur amendement. Quelques-uns, pourtant, sont moins féroces : ils ne tiennent en réalité qu’à prononcer un discours, qui sera reproduit dans les journaux de leur circonscription ; après quoi ils deviennent très concilians, se contentent de quelque réponse flatteuse et banale, et retirent leur amendement sans se faire prier. S’ils attendaient, pour prendre la parole, qu’un projet de loi mis à l’ordre du jour arrivât en discussion, ils attendraient jusqu’aux élections générales, et peut-être les électeurs, ignorant leur éloquence, ne les renverraient-ils pas siéger au Palais-Bourbon. Ces effractions oratoires faites au budget ne sont donc pas sans excuses, mais elles ont deux inconvéniens : le premier est d’allonger la discussion outre mesure ; la Chambre est comme sous une pluie fine, tenace et mortellement ennuyeuse, de harangues qui n’en finissent plus ; — le second est d’effleurer toutes sortes de questions sans en résoudre une seule. La Chambre voit passer des lueurs plus ou moins vives, mais dont aucune ne projette une lumière franche et pleine. Elle sort de ces discussions l’esprit confus et troublé, rempli de mille objets restés indistincts, sans qu’il lui ait été possible de s’en approprier aucun. Elle se contente d’à peu près, elle s’habitue à ne pas conclure, ce qui, pour une assemblée, est synonyme de stérilité et d’impuissance.

En veut-on des exemples ? Ils abondent, on n’a que l’embarras du choix. La discussion du budget de l’Algérie a pris trois grandes journées, à raison de deux séances par jour. L’Algérie a six députés, et, bien que cinq, pour le moins, soient parfaitement d’accord, ils se feraient scrupule de désigner un d’entre eux qui parlerait pour tous les autres. Ils ont tenu à parler tous les six, et l’un des six a même rempli toute une séance à lui seul : il a raconté des choses très intéressantes, qui n’avaient d’autre défaut que de ne tenir au budget par aucune espèce de lien. On n’est probablement pas encore blasé sur l’éloquence parlementaire en Algérie : un député qui n’interviendrait pas dans la discussion du budget ferait triste figure à Constantine ou à Oran. M. le gouverneur général a pris la parole à son tour et il a produit beaucoup d’effet sur la Chambre par l’élégante simplicité et la précision de son langage : il a indiqué en quelques traits rapides les points principaux sur lesquels il voudrait voir se porter et surtout se fixer l’attention du législateur. Le tableau qu’il a présenté de la situation actuelle de l’Algérie et des modifications à y introduire a pris tout d’un coup un relief saisissant. La Chambre s’est sentie convaincue de l’intérêt des réformes qui étaient esquissées devant elle ; mais en fera-t-elle une seule ? Non : nous en sommes du moins aussi éloignés qu’avant le débat. Pourquoi ? Parce que la Chambre n’a eu à voter aucun texte de loi, et qu’après