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été opposé, en 1805, au projet d’une intervention de la Russie dans la guerre contre Napoléon, autant, après le traité de Tilsitt, il s’efforce de mettre en garde son impérial ami contre l’excès de sa confiance dans la durée de la paix. Il l’engagea se gagner par tous les moyens la sympathie de son peuple, de façon à pouvoir compter sur lui pour la prochaine campagne, qui sera décisive et aura pour la Russie une importance de vie ou de mort. Il lui recommande de réprimer avec énergie la corruption, qui va toujours grandissant parmi les fonctionnaires. « Pas de procès, lui dit-il, pas d’enquêtes ! Seuls des actes d’autorité auront raison de cet état de choses. Les procès et les enquêtes n’atteindraient que les petits coupables, et au-dessus d’eux il y a les gros, qui doivent être le plus durement châtiés. »

« Ménagez-vous à tout prix, lui dit-il encore, la sympathie des Polonais et celle des Turcs. Avec eux vous pourrez tout, et rien sans eux, contre l’ambition de Napoléon, qui tôt ou tard vous mettra dans la nécessité d’entrer de nouveau en lutte. »

Mais Alexandre, tout en sollicitant comme par le passé les avis de Parrot, se sentait désormais mal à l’aise devant lui, et évitait manifestement de le rencontrer. Devenu l’ami de Napoléon, il croyait devoir à cette amitié de ne laisser approcher de lui aucun partisan d’une autre politique. Le 15 septembre 1808, lorsque, en traversant Dorpat pour se rendre à Erfurt, il dut recevoir en audience, à la station de poste, le personnel de l’Université, il ne dit pas un mot à son fidèle Parrot. Mais à peine avait-il tourné le dos, qu’un chambellan remit secrètement au professeur, de sa part, une longue lettre pleine d’expressions tendres, d’excuses, et de promesses. L’empereur y promettait notamment à son ami d’apporter à cette entrevue d’Erfurt tout le sang-froid et toute la prudence nécessaires.

Enfin en 1810, lorsque la guerre, si obstinément prédite par Parrot, parut désormais inévitable, l’empereur demanda à son conseiller de lui adresser, « mais après l’avoir fait recopier par une main étrangère, » un mémoire indiquant le meilleur plan de conduite à suivre. Ce mémoire « secret, très secret » est reproduit en entier dans la Deutsche Revue : c’est un document historique d’une importance considérable.

Parrot recommande avant tout à l’empereur de s’assurer l’amitié de la Porte et des Polonais. Il lui conseille d’accorder à ceux-ci l’indépendance de leur pays, et de leur donner pour roi le prince Adam Czartoryski. Puis, après une rapide revue des divers États de l’Europe et de l’attitude à prendre envers eux, il en vient à la tactique :

« Surtout, dit-il, renoncez à votre idée d’une guerre de forteresse : vous n’arriverez jamais à la réaliser, ni à l’enseigner à votre armée. Modelez votre tactique sur le génie de votre peuple. Ménagez-vous une grande armée de réserve, qui attende l’ennemi et l’accable au dernier