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de vos promenades ait pour but une visite de ce genre ! Et ne manquez pas non plus à faire des tournées dans les provinces de votre empire. Allez surtout à Moscou, montrez-vous à cette antique capitale où réside le noyau de la noblesse russe : ainsi vous affaiblirez l’esprit de résistance, en forçant ces grands seigneurs à vous rendre hommage ! »

Alexandre fit de son mieux, cette fois encore, pour suivre les conseils de Parrot. Le 11 juin, quelques jours après la lecture de cette lettre, il lit pour la première fois une tournée d’inspection dans les divers hôpitaux de Saint-Pétersbourg. Mais bientôt les événemens du dehors le détournèrent de ces préoccupations pacifiques. Une nouvelle coalition venait de se former contre Napoléon : devait-il y prendre pari, comme le lui conseillaient ses ministres ? Parrot, aussitôt consulté, l’engagea très vivement à rester neutre. Il haïssait Napoléon d’une haine acharnée, mais il n’attendait rien de bon pour la Russie d’une guerre au dehors, et surtout il se méfiait profondément de l’Autriche et de l’Angleterre. Alexandre, cette fois encore, était prêt à lui donner raison ; mais indécis et pusillanime à son ordinaire, il voulut que Parrot, après l’avoir convaincu, convainquît encore ses ministres. Il lui ordonna d’aller exposer ses vues au prince Adam Czartoryski, le partisan le plus résolu de l’intervention de la Russie dans la nouvelle campagne. L’entrevue du ministre et du professeur fut, parait-il, des plus vives. Le sang-froid et l’obstination de Parrot exaspérèrent Czartoryski, habituellement si maître de lui, et d’une si parfaite courtoisie. Mais de part ni d’autre on ne réussit à se convaincre, et l’empereur, tout en reconnaissant jusqu’au bout la justesse de l’avis de Parrot, se soumit au désir de ses ministres. « La Russie et l’humanité, déclara-t-il à son ami, exigent de moi que je tente d’abattre le tyran de l’Europe. » Il aimait ainsi à trouver des formules solennelles et grandioses, sous lesquelles il dissimulait son indécision et sa passivité naturelles. Et lorsque, dans les premiers de jours 1806, revenu à Pétersbourg, il revit son fidèle Parrot, il lui avoua qu’à Austerlitz c’était à lui surtout qu’il avait pensé, à ses sages avertissemens, à la prédiction qu’il lui avait faite d’une prochaine trahison de l’Autriche. Il lui confia le soin de répondre à la relation française de la bataille, telle que venait de la publier Napoléon dans son 30e Bulletin. Mais l’administration militaire russe était dans un désarroi si complet, que deux mois après Austerlitz il fut encore impossible à Parrot de connaître le chiffre exact des troupes russes qui avaient pris part au combat.


Plus on avance dans la lecture de ces lettres de Parrot, et plus on est frappé, vraiment, de la justesse de vues, de la clairvoyance en quelque sorte prophétique de ce petit professeur livonien. Autant il avait