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repas en écoulant chaque matin un nouveau madrigal ou un nouveau sonnet composé par l’amphitryon. » Le propos est irrévérencieux ; mais pend-on un homme pour cela ?

Le colonel Malleson ne défend pas contre Macaulay les sonnets et les madrigaux de Daylesford. Ce qu’il ne peut lui pardonner, c’est d’avoir cru et affirmé que Hastings avait commis plus d’une action répréhensible ; c’est d’avoir avancé que tout n’était pas faux dans les accusations portées contre lui, que ce grand politique n’avait pas une vertu sans tache, qu’il n’était pas un maître doux et miséricordieux, que ses principes n’étaient pas très rigides, que son cœur n’était pas tendre, qu’il se souciait peu des droits et des souffrances d’autrui, qu’il a plus d’une fois sacrifié la justice et l’humanité à la raison d’État. — « Médisances empoisonnées ! venimeuses distillations ! » s’écrie le colonel.

Que reprochait-on à Hastings ? C’était, en premier lieu, d’avoir, en 1772, lorsqu’il n’était encore que gouverneur du Bengale, prêté à son allié, le nabab-vizir d’Oude, une armée anglaise moyennant 400 000 livres sterling, pour écraser les Rohilas et s’annexer leur territoire. Macaulay a plaidé la cause des Rohilas, et il a déclaré qu’en prêtant son armée à Sujah-Dowlah, l’Angleterre était, par la faute de Hastings, descendue au-dessous de ces petits princes allemands qui vendaient aux Anglais des troupes pour combattre les Américains. « Les marchands de hussards de la Hesse et d’Anspach étaient sûrs au moins que les expéditions auxquelles on employait leurs soldats seraient conduites conformément aux règles d’humanité de la guerre civilisée. Était-il probable qu’il en fût de même pour la guerre contre les Rohilas ? » A cela M. Malleson répond que les Rohilas, après tout, n’étaient pas un peuple bien intéressant, qu’ils n’étaient point de race hindoue, que ces aventuriers étrangers ne possédaient leur territoire que par droit de conquête et d’occupation. Mais les Anglais n’étaient-ils pas eux-mêmes des étrangers et des occupans ? Avaient-ils d’autres titres à la possession de Bombay, de Madras et de Calcutta que le droit de conquête ?

M. Malleson allègue encore que Hastings avait tout à craindre des Mahrattes ; qu’il était de son devoir de se prémunir contre leurs dangereuses incursions, et que les Rohilas étaient sur le point de faire alliance avec les ennemis communs du nabab d’Oude et des Anglais. Quoique ce ne soit qu’une conjecture, il est probable que Hastings fit un acte de judicieuse politique en les sacrifiant au nabab. Mais M. Malleson ne répond pas à Macaulay. Encore un coup, Hastings, qui savait comment les Hindous font la guerre, exigea-t-il de son allié une promesse, une garantie qui l’assurât qu’on n’abuserait pas de son concours et que son honneur serait sauf ? Il ne se réserva pas même le droit de retirer ses troupes en cas d’abus. « Le Rohilcund fut bientôt en flammes.