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qui était géré par le colonel Rose. En arrivant dans le Bosphore, le prince Menschikoff n’eut devant lui, pour représenter la France et l’Angleterre, et soutenir le gouvernement ottoman en cette grave conjoncture, que deux intérimaires dépourvus d’instructions, mais qui, ayant le sentiment de leurs devoirs et de leur responsabilité, s’entr’aidèrent avec une parfaite et constante loyauté.

Je sortirais du cadre que je me suis imposé si je voulais exposer ici, dans tous ses détails, la mission de l’envoyé extraordinaire de la cour de Russie, mais je puis en rappeler certains incidens qui n’ont pas perdu tout intérêt. Entrée de grand matin dans le Bosphore, la frégate à vapeur qui avait amené le prince Menschikoff le débarqua, selon son désir, à Buyuk-Déré, à la résidence d’été de l’ambassade impériale. Bientôt on annonçait qu’il viendrait au mouillage de Constantinople à trois heures de l’après-midi. On nommait les officiers de tout rang qui l’accompagnaient, notamment le vice-amiral Korniloff, aide de camp de l’empereur, chef d’état-major de la marine russe dans la Mer-Noire, — le général-major Neposkotchinski, chef de l’état-major du 5e corps d’armée, et huit autres officiers appartenant à toutes les armes ; — on n’oubliait pas le jeune comte de Nesselrode, qui empruntait à son père une notoriété significative. Le rendez-vous donné dans le port fut accepté par une foule nombreuse, et le prince Menschikoff, en mettant pied à terre, put gagner, entouré d’un concours considérable, l’hôtel de l’ambassade à Pera où se pressaient, au milieu d’autres coreligionnaires, un grand nombre de prêtres grecs.

Sa première démarche fut un éclat. Il exprima le désir de présenter ses devoirs à la Porte. Avec un empressement cordial, on lui fit savoir qu’il y serait reçu le lendemain avec le cérémonial usité pour les ambassadeurs extraordinaires. Il était encore de règle à cette époque qu’à leur arrivée, les représentans des puissances se missent en rapports avec les conseillers du sultan en se rendant au siège du gouvernement en uniforme et en faisant aux principaux d’entre eux une visite officielle. Cette visite était due surtout au grand vizir et au ministre des affaires étrangères. Fuad-Effendi était, à ce moment, titulaire du second de ces deux postes. Il se trouvait à la Porte, revêtu de ses insignes, dans les appartemens qu’il y occupait et y attendait le prince Menschikoff quand on lui annonça qu’en sortant du salon du grand-vizir, l’ambassadeur avait repris le chemin de Pera. Cette manifestation inattendue et significative excita la plus vive surprise parmi les fonctionnaires ottomans de tout ordre qui se pressaient dans les couloirs. Fuad-Effendi résolut aussitôt