secrètement les condamnés d’une partie des supplices prononcés par l’arrêt. Nous voyons, par exemple, dans les registres de la Tournelle, à la date du 4 juin 1766 qu’un sieur Mathé est condamné à être « rompu, puis exposé vif sur la roue pour y rester, la face tournée vers le ciel, tant qu’il plaira à Dieu le conserver en vie. » Mais au bas de l’arrêt, après les signatures, sont écrits ces mots :
« Retentum. Arrête que ledit Jean Mathé ne recevra qu’un coup vif et sera ensuite secrètement étranglé. » Il semble qu’un adoucissement de cette nature eût été bien de mise dans l’affaire de La Barre, et les magistrats ne l’auraient point oublié si les hésitations dont parle Voltaire se fussent produites dans la délibération.
Le 25 juin, M. Joly de Fleury annonce à Hecquet que Moisnel et de La Barre sont repartis pour Abbeville, et il ajoute : « Vous m’avés marqué qu’il n’y avait dans la province aucun exécuteur capable de mettre à exécution l’arrêt du 4 de ce mois contre le sieur Lefebvre de La Barre. J’ay donné ordre en conséquence à l’exécuteur de Paris de se rendre à Abbeville, où il arrivera dimanche prochain au soir au plus tard. Je luy ai recommandé de se conformer dans cette occasion à tout ce que M. le lieutenant criminel et vous estimerez devoir lui prescrire pour l’exécution dont il s’agit. » Ainsi l’exécution était prochaine et la date en était déjà fixée, quand, le jour même où M. Joly de Fleury donnait les instructions suprêmes à son substitut d’Abbeville, survint un incident très grave.
A Amiens, l’évêque de Lamotte fut saisi de remords à la vue de son œuvre, et, désavouant la menace qu’il avait fulminée, pieds nus et corde au col, sur le pont d’Abbeville, il jugea, un peu tard, que le pauvre chevalier n’avait peut-être pas mérité « les derniers supplices en ce monde. » Le prélat se mit donc en campagne pour sauver de La Barre, et envoya, le 26 juin, au procureur général, le billet qu’on va lire : « Je vous supplie, Monsieur, de suspendre autant qu’il se pourra l’exécution de la sentence d’Abbeville contre les accusés d’impiétés. Nous travaillons à obtenir du Roy que la peine de mort soit changée en prison perpétuelle… Il est certain que rien ne souffrira du délay que je prends la liberté de vous demander. Le public serait content d’un enfermement, et il suffirait pour empêcher que le nombre des impies n’augmente.
« Daignés avoir égard à ma très humble prière, et me croire