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d’une belle action. Sur ce fait les sieurs Gaillard d’Estalonde, Lefebvre de La Barre et Moisnel ont été décrétés de prise de corps. Le sieur Lefebvre de La Barre, neveu de Mme Feydeau de Brou, abbesse de Willancourt en cette ville, et parent, que je crois, de messieurs Lefebvre d’Ormesson, a été pris mardi dernier en l’abbaye de Longvillers entre Montreuil et Boulogne. Le sieur Gaillard d’Estalonde est le fils de M. de Boëncourt, président au Présidial de cette ville. J’ai envoyé pour le prendre, mercredi dernier, au château d’Estalonde, dans le comté d’Eu, où je croyais qu’il était. J’ai appris depuis qu’il avait gagné le lendemain du côté de Boulogne pour s’embarquer à Calais. J’y ai envoyé son signalement, et, s’il n’est point passé, je compte qu’il y sera pris. Le sieur Moisnel est un jeune surnuméraire dans les gendarmes de la garde du roy, un enfant qui n’ayant ni père ni mère a eu des liaisons trop intimes avec ces deux mauvais sujets. Voilà quel est l’état actuel de la procédure. S’il survient quelque chose de nouveau, j’aurai l’honneur de vous en faire part. « HECQUET. »

C’est le 1er octobre 1765, que le chevalier de La Barre avait été capturé. Le lendemain, conformément à l’ordonnance, il subissait un premier interrogatoire[1].

Observons ici qu’autrefois, pour procéder à l’interrogatoire d’un accusé, le juge devait se conformer à des règles et à des traditions que les commentaires de l’ordonnance criminelle de 1670 indiquaient avec précision. C’est ainsi que le juge devait « fatiguer l’accusé par un grand nombre de questions ; » le « prendre par ses propres réponses, le tourner et le retourner ; » l’interroger par des circuits et des demandes éloignées » de manière que cet accusé « ne puisse pénétrer ce que le juge veut savoir de lui. » Avec une pareille stratégie, si bien réglée pour l’attaque, on conçoit que l’accusé finissait toujours par perdre pied. Malgré son esprit, le chevalier n’échappa point à la règle commune. Avait-il dit, lui demandait le juge « qu’il regardait l’hostie comme un morceau de cire ? qu’il ne comprenait pas qu’on pût

  1. Voici quelques extraits de ce document :
    D. De La Barre a-t-il déchiré et mis dans son pot un livre d’Évangile ? — H. Non. Mais l’accusé avoue avoir fait des papillotes d’un vieux bréviaire. — D. N’a-t-il pas scandalisé une tourière en lui demandant ce qu’elle faisait d’une image de saint Nicolas ? — R. Non. — D. N’a-t-il pas dit des saints que c’était de la graine de niais ? — R. L’accusé reconnaît qu’il ne croit pas à certains faits de bigoterie, ni à certains points de religion qui paraissent blesser le sens commun. — D. Quels sont ces points ? — R. L’accusé ne se souvient pas. — D. De La Barre n’a-t-il pas dit à quelqu’un : « À confesse, je ne dis que ce que je veux ? » — R. S’il a répondu qu’il ne disait à confesse que ce qu’il voulait, c’est parce qu’il a cru n’être point dans le cas de rendre compte de ses actions à personne. (On sent ici des arrangemens de rédaction d’une perfidie évidente.) — D. N’a-t-il pas, à la communion, gardé l’hostie qu’il a ensuite piquée pour voir s’il sortirait du sang ? — R. Non.