ce qui m’était sympathique, la confirma pleinement. Mais sa fermeté, son inflexibilité pure et désintéressée et la noble sincérité avec laquelle il exposait et défendait ses idées, m’émerveillèrent à ce point, et complétèrent si bien à mes yeux la physionomie de Pereda, qu’il m’en coûterait aujourd’hui de l’imaginer autrement ; je crois même.que sa vigoureuse personnalité perdrait toute figure en perdant cette belle unité et ce ton de haut relief. Dans sa manière de penser, il y a beaucoup de sa manière d’écrire : même horreur de la convention, même sincérité… Ceci dit, j’ajoute que Pereda est, comme écrivain, le plus révolutionnaire de nous tous, le moins attaché à la tradition, l’émancipateur par excellence. A défaut d’autres mérites, il aurait encore droit au premier rang par la grande réforme qu’il a faite, en introduisant le langage populaire dans la langue littéraire, en les fondant avec art, en conciliant des formes que nos maîtres de rhétorique les plus distingués déclaraient incompatibles… Une des plus grandes difficultés auxquelles se heurte le roman espagnol, consiste dans le défaut de souplesse de notre langue littéraire pour reproduire les nuances de la conversation courante. Les orateurs et les poètes la maintiennent dans ses anciens moules académiques, la défendent contre les efforts de la conversation, qui tente de la tirer à soi ; le fâcheux régime de douane de ces esprits cultivés la prive de flexibilité. D’autre part, la presse, sauf de rares exceptions, ne se met pas en frais pour donner au langage courant la couleur littéraire, et, de ces vieilles antipathies entre la rhétorique et la conversation, entre l’académie et le journal, résultent d’irréductibles différences entre la manière d’écrire et la manière de parler, ce qui fait le désespoir et l’écueil du romancier. Pour vaincre ces difficultés, nul n’a été plus hardi que Pereda ; il a obtenu de merveilleux succès et nous a offert des modèles qui l’ont de lui un vrai maître en cet art redoutable… Autre chose : Pereda ne vient jamais à Madrid. Pour le voir, il faut aller à Santander ou à sa maison de Polanco, où il vit la majeure partie de l’année, dans une aisance matérielle, un luxe, qui ajoute un trait de plus à son originalité. C’est un écrivain qui dément, mieux que tout autre en Espagne, la prétendue incompatibilité entre la richesse et le talent… »
Pouvais-je passer près d’un pareil homme, que je n’avais aucune chance de retrouver à Madrid, sans essayer de le voir ? J’avais un mot pour lui. J’ai pris rapidement mon parti, et je suis allé à Polanco. Là, parmi des collines arrondies et largement ouvertes, dans une atmosphère d’une limpidité admirable, un parc entouré de murs, planté de grands arbres que dominent