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Un nouveau et très important succès des Japonais vient d’attirer l’attention de l’Europe sur les affaires de l’extrême Orient : nous voulons parler de la prise de Weï-Haï-Weï, qui fait en quelque sorte pendant à Port-Arthur à l’entrée du golfe de Petchili. Les deux places, celle-ci au Nord et celle-là au Sud, sont à l’extrémité de deux immenses promontoires qui commandent militairement l’entrée du golfe. Si l’on songe que la flotte chinoise s’était réfugiée après ses désastres dans le Petchili, on doit considérer qu’elle y est aujourd’hui bloquée et que la mer appartient tout entière aux Japonais. Leur base d’opération est fixée, leurs communications sont assurées en vue de la campagne prochaine. L’objectif de cette campagne, qui s’ouvrira avec le printemps, sera certainement Pékin. On ne voit plus aujourd’hui ce qui pourrait empêcher l’armée du Mikado d’y arriver, et même assez rapidement. Il faut rendre aux Japonais la justice qu’ils ont tiré un bon parti de l’hiver. On croyait que ce serait pour eux une morte-saison, au moins au point de vue militaire, et la rigueur du climat autorisait à le penser. Ils ont compris, en effet, qu’une campagne sur terre était impossible, mais la mer leur restait ouverte et toutes les côtes de la Chine étaient exposées à leurs coups : ils ont admirablement choisi les points où ils devaient les frapper, et la sûreté de leurs manœuvres leur fait grand honneur. Une armée qui a traversé de pareilles épreuves, et qui les a supportées sans un moment de défaillance, est prête pour les opérations les plus difficiles.

Pendant ce temps, que font les Chinois? Ils ont l’air de vouloir gagner du temps, comme si ce n’était pas le meilleur moyen de tout perdre. Un autre pays, dans la situation où se trouve la Chine, traiterait tout de suite et à tout prix. Les plus grands sacrifices ne sont pas en disproportion avec les dangers qui menacent le Céleste-Empire. Sans doute il se sauvera par sa masse, mais les parties essentielles, politiquement et commercialement, en sont déjà sous la main du vainqueur, et la monarchie est bien malade : il est probable que des révolutions intérieures viendront encore compliquer et compléter l’œuvre de la guerre. La Chine n’a pourtant trouvé jusqu’ici d’autre chose à faire que d’amuser le tapis avec des négociations dilatoires: ce rôle conviendrait mieux aux Japonais. On comprend que ceux-ci ne soient pas pressés de traiter; ce qui est inexplicable, c’est que les Chinois leur envoient des négociateurs qui n’ont pas même des pouvoirs en règle. De tels procédés sont peut-être de mise avec les Européens, et nous en avons su quelque chose : dans notre désir de traiter, nous n’avons pas été quelquefois très difficiles sur la qualité des négociateurs. La diplomatie d’extrême Orient aime ces procédés qui ne l’engagent jamais complètement; mais ils deviennent la plus inintelligente des routines dans la situation presque désespérée où la Chine se