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a donné une fois de plus satisfaction à M. Millerand. On a pu craindre, dès ce moment, que les socialistes n’eussent cause gagnée; mais, à la surprise générale, la Chambre s’est montrée dans ses bureaux très différente de ce qu’elle avait été en séance publique. On a pu voir une fois de plus combien les mêmes députés se ressemblent peu suivant les conditions où ils opèrent. En séance, ils obéissent à l’entrainement du moment, à des impressions parfois fugitives, mais le plus souvent très vives ; dans les bureaux, après quelque vingt-quatre heures de réflexion, ils se ravisent, retrouvent leur sang-froid et votent suivant une conscience rassise. La déception des socialistes a été grande : sur les 33 commissaires élus, un seul appartenait à leur groupe ; encore a-t-il donné sa démission. Le résultat est donc très différent de ce qu’on avait espéré d’un côté, et de ce qu’on avait craint de l’autre. Est-ce à dire que la commission manquera à son devoir et qu’elle ne s’appliquera pas à faire la lumière? Non, assurément; mais cette lumière, elle la fera vite, et elle la portera sur des points précis, au lieu de la promener et de l’égarer sur un espace indéfini, ou, si l’on veut, mal défini. La commission, et nous ne l’en blâmons pas, tient à se rendre compte de ce qu’ont produit les conventions de 1883 au point de vue des intérêts de l’État : elle n’oubliera pas, toutefois, que M. Raynal a été dénoncé, que sa cause lui a été soumise, et qu’on ne doit pas laisser un homme un jour de plus qu’il n’est nécessaire sous le poids d’aussi lourdes accusations.


La discussion du budget des affaires étrangères n’a pas eu grande importance au Palais-Bourbon. Nous ne parlons que pour mémoire de l’inévitable amendement sur la suppression de l’ambassade auprès du Saint-Père : c’est une question qui, chaque année, semble perdre de son intérêt. Autrefois, elle était traitée par les principaux orateurs du parti radical ; elle l’a été, cette fois, par un socialiste, M. Prudent-Dervillers. Il n’a pas rajeuni le débat, et M. Hanotaux s’est déclaré incapable de le renouveler lui-même : il s’est borné à dire que la situation n’était pas changée, et que les argumens, qui avaient convaincu les Chambres précédentes, étaient encore bons pour celle-ci. Il a lu un discours de M. Goblet qui se déclarait partisan de l’ambassade auprès du Vatican, et M. Goblet est monté à la tribune pour déclarer qu’il n’avait pas changé d’avis. A l’entendre, la suppression de notre ambassade doit suivre la séparation de l’Église et de l’État, et non pas la précéder, ni en être la première étape. M. Goblet est passé aux affaires; il a le sentiment de certaines nécessités de gouvernement qui échappent à beaucoup de ses amis. Il ne conçoit la séparation de l’Église et de l’État qu’à la suite d’une négociation avec Rome, et, dit-il, pour négocier, il faut un ambassadeur. Nous allons plus loin : alors même que l’Église serait séparée de l’État, la France devrait