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quelques jours après pour avoir tué de sa main un pompier. Les émeutiers avaient en vain fait retentir le cri de République et appelé aux armes la population du quartier ouvrier : loin qu’ils l’entraînassent, elle avait aidé à les traquer et à les prendre. Le sentiment général se révolta contre cette effusion de sang français par des mains françaises, comme si les mains ennemies ne suffisaient pas à le répandre, et contre cette surprise déloyale d’une faction qui tentait de conquérir à coups de poignard la France à l’heure où toutes les forces de la nation devaient être tournées contre l’envahisseur. L’indignation fut si spontanée et universelle que Gambetta, malgré ses ménagemens ordinaires pour les partis extrêmes, accusa à la tribune les émeutiers d’être les agens de la Prusse.

La grande majorité des Français ne demandait rien au-delà des changemens accomplis depuis le 9 août. L’empereur était amoindri, pas encore condamné. On ne croyait plus au chef d’armée, on croyait encore au chef de gouvernement. Son abdication militaire redonnait confiance en sa valeur politique, et l’on n’attendait, pour lui pardonner, que la revanche. Car les cœurs n’étaient pas prêts encore aux revers sans espérance.


IV

Nous avions une armée à Metz et une à Châlons : le plus urgent, de l’avis unanime, était de les réunir. Nos forces étaient les moins nombreuses : motif de plus pour ne pas accroître cette infériorité par notre dispersion. Moins rapides aussi dans les marches et moins habiles dans la stratégie, nos armées, si elles restaient isolées, couraient le risque de se laisser envelopper et battre l’une après l’autre par l’envahisseur. Jointes, elles formaient une masse de 300 000 hommes. Les Allemands n’en avaient pas alors 400 000 en France. Elles s’assuraient l’avantage sur l’adversaire si elles le rencontraient divisé ; concentrât-il comme nous toutes ses forces, nous combattrions trois contre quatre, et les précédentes rencontres nous donnaient le droit de penser que cette différence d’effectifs serait compensée par la valeur de nos soldats. Cette valeur devait d’ailleurs s’accroître par la fusion de nos armées. A Metz étaient nos meilleures troupes : la garde, l’élite des officiers, des cadres solides jusqu’au superflu. Les cadres étaient ce qui manquait le plus à l’armée de Châlons, mutilée par des batailles meurtrières, éprouvée, par des retraites où s’épuise la vigueur morale des troupes, reconstituée par des appels qui lui avaient rendu des hommes, mais pas d’officiers, composée en