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qui a trait à la direction morale. Il a toujours mis le soin le plus attentif à nous proposer des règles de conduite et des principes de vie. C’est de ce souci même que procède chacune de ses pièces. C’est sous la forme d’une maxime de morale qu’elles se présentent d’abord à son esprit. « La vérité, c’est de se marier à vingt-cinq ans, d’être grand-père à cinquante, et ainsi de suite. » Tel est l’aphorisme sur lequel repose l’Age difficile. La sagesse des nations et la prudence bourgeoise ne nous donnent pas de leçons plus solides ni plus incontestables. Il est vrai seulement que cette morale prend un accent un peu spécial quand on sait de quelles déductions elle est chez M. Lemaître l’aboutissement. C’est parce qu’il est très persuadé de notre faiblesse que l’auteur nous conseille d’étayer cette faiblesse de tous les soutiens qu’ont inventés les hommes. La famille lui semble utile surtout parce qu’elle nous met en garde contre nous. Et alors cette objection se présente trop aisément, c’est que les devoirs eux-mêmes que nous impose la famille sont une sauvegarde insuffisante ; car, pour se conformer à ces devoirs, encore faut-il y apporter de l’abnégation, un esprit de sacrifice, et, pour tout dire, une certaine dose d’énergie personnelle. — De même ce ne sont pas les préceptes moraux qui manquent dans le Pardon. Il en est un qui revient à plusieurs reprises : c’est qu’il ne faut pas faire de mal à autrui, qu’il faut éviter de répandre autour de nous la douleur et qu’il ne faut pas faire souffrir les innocens. Les personnages de M. Lemaitre proclament cette règle avec insistance ; et ils la violent avec continuité. — Y a-t-il une thèse dans le Pardon? Le mot serait bien gros pour une pièce si mince. Du moins est-il vrai qu’on nous y donne un conseil, celui de l’indulgence. Évitons les excès d’une sévérité fâcheuse! Ne soyons pas impitoyables à la faute d’autrui ! Soyons charitables et bons ! Mais cette indulgence encore quelles sont les raisons qui doivent nous y incliner? Hélas ! c’est que nous ne sommes pas sûrs de nous. Ceux qui ont commis le péché de suffisance et qui ont beaucoup présumé de leurs forces reçoivent de la réalité des démentis cruel s’et ironiques. Cette erreur que nous condamnons aujourd’hui chez notre prochain, demain peut-être elle sera la nôtre. C’est cela qui doit nous rendre modestes et pitoyables. La bonté est un corollaire de la faiblesse. Elle est un autre aspect de l’universelle veulerie.

J’ai essayé d’indiquer comment M. Lemaitre se représente le jeu de notre activité — ou, si l’on préfère, les états de notre passivité, — et quelle morale découle de sa théorie psychologique. Que vaut en elle-même cette conception? Est-elle vraie? Est-elle humaine? Est-elle intéressante? Je n’ai pas à le rechercher. Je dois ici l’examiner seulement au point de vue dramatique. Or, j’ai peur qu’elle ne soit en contradiction avec les exigences du théâtre, entendues au sens le plus large et le plus général du mot. Ce dont nous avons surtout besoin au théâtre, c’est de clarté. Nous voulons comprendre