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viendrez », ajouta M. Jules Favre, prophète une fois, « il sera trop tard ! »

Cet accord entre le Corps législatif et l’opposition parlementaire était pressenti et redouté par le parti des conspirateurs politiques et des ouvriers socialistes qui eux-mêmes, depuis les élections de 1869 et le plébiscite, s’étaient coalisés. Ce parti voulut prévenir le péril par un coup de main. C’est pourquoi, le 9 août, ses meneurs s’étaient donné rendez-vous autour du Corps législatif. Mêlés à la foule, ils se proposaient d’envahir le palais, se sentant à une de ces heures où il suffit d’une grille ouverte pour laisser passage à une révolution. Mais le palais était bien gardé. Le vieux maréchal Baraguey d’Hilliers, qui commandait à Paris, s’était rendu en uniforme à la Chambre ; ses troupes en place et ses ordres donnés, il se fit apporter une chaise dans la petite cour qui du quai donne accès aux salles d’attente et est le passage classique des invasions. A travers les grilles il suivait les mouvemens de la foule, il était vu d’elle, et dans ce corps en ruine et mutilé habitait une volonté si vivante, si calme et si assurée, que l’émeute n’osa pas jouer la partie. Un instant seulement, un petit groupe escalada le mur fort bas qui clôt le palais à l’angle du quai et de la rue de Bourgogne. Mais il suffit de quelques députés, et parmi eux M. Jules Ferry, pour décider, moitié de gré moitié de force, ces envahisseurs qui ne se voyaient pas suivis, à reprendre le chemin par où ils étaient venus. Quand le maréchal sut la tentative, de la seule main qui lui restait il tira sa montre et dit à haute voix : « Dans cinq minutes le quai sera évacué. » La foule l’entendit, le crut sur parole, et se dispersa d’elle-même.

Malgré cette victoire pacifique, les projets des révolutionnaires s’étaient assez trahis pour que les fauteurs de cette tentative fussent recherchés. La police, dans une de ses perquisitions, découvrit un approvisionnement de revolvers et de poignards. Ils étaient l’armement d’un groupe blanquiste qui se crut découvert et résolut de prévenir des poursuites par une émeute. Le dimanche 14 août, sur le boulevard de la Villette, près de la caserne des sapeurs-pompiers, à 4 heures du soir, un bateleur amusait la foule. Tout à coup, à un signal, une soixantaine d’hommes se détachent des spectateurs et assaillent le poste. Ils veulent lui prendre ses armes : le factionnaire reçoit un coup de poignard, les hommes de garde essuient une décharge de revolvers, quatre fusils sont enlevés. Mais des sergens de ville accourent en nombre et, après une courte lutte, la surprise ayant échoué, la bande s’enfuit et se disperse. Telle fut l’échauffourée que Blanqui dirigea en personne, et qui commença la renommée d’Eudes, condamné