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sans nier le droit de l’émeute, sauraient en montrer les périls et engourdir les énergies, tandis que dans les couloirs du Corps législatif, les plus modérés de réputation sauraient dire à leurs collègues de la majorité les colères de la démagogie, exagérer ses forces, les conjurer de prendre les devans et, puisque l’empire était perdu, de sauver la France en la séparant de lui.

Dès le 9 août, M. .Iules Favre, au nom des députés républicains, fit à la Chambre une double motion, où son parti indiquait son plan militaire et son plan politique. Il demanda l’armement des gardes nationales et la nomination d’un comité qui, choisi par la Chambre, exercerait le pouvoir et dirigerait la défense du pays.

L’ensemble des lois militaires qui avaient été faites laissait hors de service encore nombre de Français en état de combattre : les hommes mariés ou veufs avec enfans échappaient à l’armée active et à la garde mobile, personne n’y était appelé après 35 ans d’âge. En enrôlant, comme le proposa la gauche, les hommes de 20 à 40 ans dans la garde nationale, on ajoutait aux précédentes levées : 1° les hommes mariés ou veufs de 20 à 35 ans, 2° tous les Français de 35 à 40 ans. Le parti démocratique glissait habilement son système au milieu de nos institutions militaires, L’heure eût été mal choisie pour prétendre que l’armée de métier suffisait à la France et pour déclarer superflu aucun secours. Nul gouvernement, à l’heure où l’ennemi s’avançait dans le pays, n’aurait à la tribune pu refuser les armes de ses arsenaux aux citoyens qu’on disait prêts à combattre. Le ministère du 10 août accepta donc que la proposition de la gauche fût votée, et si grands étaient le trouble ou la pression des circonstances, qu’il ne s’opposa pas même à l’élection des officiers. Il demanda, il obtint seulement qu’à Paris on se contentât de porter de 50 à 60 le nombre des bataillons et de 60 000 à 90 000 le nombre des gardes nationaux.

Les députés républicains entendaient servir ainsi la France et eux-mêmes. Dans Paris, passé à l’opposition, les bataillons que l’empire tenait naguère pour les plus sûrs avaient cessé de l’être, et les nouveaux, avec leurs officiers élus, allaient former une force plus docile aux députés de Paris qu’au gouvernement. La gauche parlementaire ne se proposait pas d’employer cette force à la conquête violente du pouvoir ; mais elle espérait, à l’aide de cette opinion armée, peser sur le Corps législatif, obtenir de lui la déchéance. Elle la demandait déjà en proposant à la Chambre de confier l’autorité à quinze députés. C’était trop tôt, et la majorité refusa d’examiner la motion. « Vous y viendrez ! » s’écria M. Gambetta. — « Et quand vous y