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(1685), son cousin germain Jacques en Perse (1708), son beau-frère Gabriel Bernard à Venise (avant 1710), son frère André à Amsterdam (1712). Lui-même, qui s’était marié au printemps de 1704, après une seule année passée avec sa femme, et celle-ci venant de lui donner un fils, imagina de partir pour Constantinople, en la laissant à Genève. On se demande le motif de ce départ.

La question d’argent y était sans doute pour quelque chose. Deux mois après avoir signé le contrat de mariage qui détaille les différentes valeurs dont était formée la dot assez ronde de sa femme, Isaac Rousseau avait dû emprunter mille florins. On ne voit pas pourquoi. Sa belle-mère consentit à lui servir de caution : elle ne devait pas être contente. L’hiver suivant, le mari prit le parti de vendre, pour avoir de l’argent liquide, une des créances qui constituaient l’avoir de sa femme. Évidemment, le budget du jeune ménage était mal équilibré. On voit d’ici les yeux de la belle-mère, on entend ses discours. Elle habitait dans la même maison que les deux époux. Elle mit son gendre en fuite, oserait-on dire. Ce n’est qu’une hypothèse ; mais elle est plausible, beaucoup plus que d’autres qu’on pourrait former.

Je ne crois pas, par exemple, qu’Isaac Rousseau ait pris part aux troubles de 1707, dont Pierre Fatio fut le fauteur et la victime. S’il eût été là, certes il eût pris parti pour le démagogue qui ameutait le peuple genevois, et lui rappelait ses vieux droits souverains ; mais on ne trouve pas son nom sur les listes de suspects qui furent dressées alors, où figure entre autres le nom de son père David. Isaac était déjà parti pour l’Orient, plus d’une année avant que ces dissensions éclatassent, puisque c’est à la date du 22 juin 1705 qu’« étant sur son départ pour faire voyage », il donne une procuration à sa femme pour gérer ses affaires pendant son absence.

Isaac Rousseau était un homme querelleur. Trois fois, le Conseil eut à le menacer ou le punir pour de graves incartades. Voici ce que dit son registre de l’une d’entre elles : « Lundi 9 janvier 1702. M. le lieutenant ayant rapporté hier, à l’issue du prêche, que le sieur Rousseau fils avait envoyé un cartel à un gentilhomme anglais dont il prétendait avoir été insulté ; qu’il était sorti de la ville dans le dessein de l’aller attendre aujourd’hui qu’il doit partir : il a été dit qu’on ordonne au sieur Rousseau père de faire revenir incessamment son fils ; qu’autrement on le rendra responsable des événemens. ».

Ce caractère irritable de son père, Jean-Jacques en a certainement hérité. S’il n’a pas été proprement querelleur, c’est que jusqu’à douze ans il a été élevé par des femmes, sa tante Suzon