n’était pas en mesure de payer à tous ses enfans la part d’héritage qui leur revenait du chef de leur mère. Les difficultés pécuniaires qui accompagnèrent Jean-Jacques pendant toute sa vie, et qui avaient jeté leur ombre sur la carrière de son père Isaac, commencèrent donc, pour cette branche de la famille Rousseau, avant la naissance même de celui en vue duquel nous étudions son histoire.
Le moment serait venu de descendre encore d’une génération, et de passera Isaac Rousseau; mais la vie de celui-ci est intimement liée à celle de sa femme, Suzanne Bernard; et la famille Bernard étant la famille maternelle de Jean-Jacques Rousseau, il y a lieu aussi de jeter un regard sur elle, et de nous rendre compte de son origine, des traits qui la distinguent, et de ce qui peut remonter à elle dans le caractère et la nature morale du philosophe genevois.
La famille Bernard, originaire d’Arare, — un des villages de la plaine verdoyante qui s’étend au pied du Salève, — avait été reçue à la bourgeoisie de Genève en 1596. Samuel Bernard, né l’année suivante, filleul d’un riche marchand drapier, ayant perdu son père de bonne heure, fut élevé par son parrain, qui le prit pour commis, et lui donna une de ses filles en mariage. Cette belle alliance fut un coup de fortune, qui plaçait ce petit-fils de paysans dans la meilleure et la plus haute bourgeoisie genevoise, opulente et lettrée. Ses oncles étaient Noble Claude de Griffon, seigneur de Veynes, et Spectable Gaspard Laurent, professeur de grec à l’Académie. Il avait pour beaux-frères deux autres professeurs, l’helléniste Etienne Le Clerc et l’hébraïsant Daniel Le Clerc, et mieux encore, un syndic : Noble Isaac Fabri, seigneur d’Aire-la-Ville. Samuel Bernard paraît avoir été lui-même un homme de mérite ; on remarque dans l’inventaire de ses biens une bibliothèque bien choisie, la plus riche peut-être que possédât alors un négociant à Genève : histoire, théologie, poésie ; des romans : Amadis de Gaule, l’Astrée. Un de ses fils, qui fut pasteur, était aussi, au dire de Rousseau, un homme de goût, d’esprit et de savoir. De ce côté de son ascendance, l’écrivain genevois avait de qui tenir.
Samuel Bernard, qui mourut trop tôt, laissait plusieurs jeunes enfans : entre autres Jacques, un garçon de trois ans. L’éducation de cet orphelin alla sans doute un peu à l’aventure, il devint un mauvais sujet; et c’est lui, malheureusement, qui fut le grand-père maternel de Jean-Jacques Rousseau.
« Tu ne paillarderas point », dit un des dix commandemens, dans la vieille traduction protestante de la Bible. Pendant deux