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des ancêtres de Jean-Jacques, la plupart sont arrivés à Genève sous Henri II ; on ne trouve que quatre personnes qui y soient venues après la Saint-Barthélémy. Dans l’ordre chronologique des premières mentions de leur présence à Genève, Didier Rousseau marche en tête de tous; les autres s’échelonnent ainsi :

1S51. — Jean Toucheron, marchand drapier, de Blois.

1552. — Jean Le Grand, orfèvre, de Paris; sa femme Françoise Bardet, de Lyon.

1554. — Raymond Eschard, marchand, de Blois.

1555. —Julien Baudet, menuisier, de Domfront en Normandie ; sa femme Gabrielle Melin, de Lyon. — René Janvier, teinturier, de Blois.

1558. — Antoine Cresp, sergier, de Grasse en Provence.

1559. — Simon Lemaire, marchand, de Salins en Franche-Comté.

1561. — Bon Bluet, passementier, d’Amiens; sa femme Guillemette Jussin, de Saint-Dizier en Champagne.

1574. — Simon Mussard, orfèvre, de Châteaudun.

1576. — François Chouan, marchand, de Toulouse. — Dominique Magnin, marchand, de Mâcon; sa femme Colombe Granjan de Fouchy, de Chasselas en Maçonnais.

L’émigration protestante du XVIe siècle s’est étendue à toutes les provinces de France. Comme à la fin du siècle dernier, en face d’un gouvernement irrité et de l’effervescence populaire, la minorité proscrite abandonnait ses biens et sauvait sa vie. Comme à la Révolution, les autorités et la foule, en France, étaient d’accord pour menacer et sévir; les mêmes craintes amenaient les mêmes effets : toute une élite prit le chemin de l’exil. Sur les rives du lac Léman, à Lausanne, à Genève, les réfugiés affluaient. Après une fuite précipitée, après un voyage périlleux, ils y trouvaient repos et sûreté.

En même temps que ces personnages aux noms inconnus que nous venons d’énumérer, ces modestes bourgeois qui ont vécu ignorés et sans mémoire, on voyait arriver Théodore de Bèze, Henri Estienne, Hotman, Scaliger; Arnaud Casaubon, de Gascogne, le père du célèbre philologue Isaac Casaubon; Antoine de Saussure, de Lorraine; Pyramus de Candolle, de Fréjus en Provence, les aïeux des savans illustres qui devaient naître deux cents ans plus tard. La France chassait hors de ses frontières quelques-uns de ses meilleurs enfans, quelques-unes de ses familles dont le sang était le plus fécond et le plus pur.

Le lieu d’asile, au pied des Alpes, était une belle contrée qui plaisait au regard ; et beaucoup de ceux qui avaient traversé les