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France à l’époque des persécutions contre les protestans. Didier Rousseau, de Paris, avait été reçu habitant de Genève en 1550.

C’était un négociant; dans quelques documens, il est désigné comme libraire, et c’est peut-être pour avoir fait commerce de livres hérétiques qu’il avait dû quitter son pays. Mais dans la plupart des actes où son nom figure, et qui s’échelonnent à Genève sur une trentaine d’années, Didier Rousseau est qualifié « vendeur de vin ». Dans l’une des rues montantes qui s’élèvent sur la colline où la ville de Genève est bâtie, il tenait une auberge à l’enseigne de l’Epée couronnée. En outre, il était un de ceux qui prenaient à ferme les dîmes de vin et de blé que levait la Seigneurie de Genève dans les villages des environs. Somme toute, c’était un homme d’affaires, qui s’y prenait de son mieux pour gagner sa vie dans une ville qui était alors assez pauvre. En arrivant de Paris, il avait apporté quelque bien dans sa nouvelle patrie. Quand il fut reçu bourgeois de Genève après quelques années de séjour, il eut à payer les droits de bourgeoisie, qui variaient suivant les facultés de chacun; on le taxa à 20 écus, ce qui le classe, sinon parmi les plus riches, du moins immédiatement au-dessous d’eux. On le voit acheter des maisons à la ville, des pièces de terre à la campagne. On le trouve lié avec Noble Jean de Budé, le fils du célèbre helléniste, et avec son beau-frère, Noble Charles de Jonvilliers: l’un est son exécuteur testamentaire, l’autre prend soin des intérêts de ses enfans. Il avait ainsi des amis dans les plus hauts rangs, quoiqu’il appartînt lui-même à une couche sociale plus humble.

Il faut remarquer la date de sa réception à la bourgeoisie de Genève (avril 1556). C’est le moment où le parti de Calvin venait de l’emporter dans l’élection annuelle des syndics, magistrats suprêmes de la petite république. Ayant ainsi au pouvoir des amis dévoués, Calvin voulut renforcer la majorité précaire qu’il venait d’obtenir au Conseil général, en faisant admettre à la bourgeoisie un grand nombre de réfugiés français. En un mois, une soixantaine d’entre eux furent reçus bourgeois : tous ceux qui furent de cette fournée étaient certainement, pour le parti de Calvin, des hommes sûrs. Didier Rousseau était au milieu de ce groupe.

Nous n’avons sur ses idées personnelles qu’un seul témoignage direct: c’est le texte du testament qu’au moment d’une maladie, et onze ans avant sa mort, il dicta au notaire Aimé Sauteur. Didier Rousseau y lègue de petites sommes à l’hôpital et au collège de Genève, et cent florins « à la Bourse des pauvres étrangers qui se retirent en cette cité ». Il a ainsi une pensée pour ceux qui