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parle des marbriers qui réparent les parties brisées des statues et les patinent-il mentionne aussi ce fait, que le premier acte des censeurs, à leur entrée en charge, était de mettre en adjudication la nourriture des oies sacrées du Capitole et la ganôsis de la statue de Jupiter Capitolin, « parce que le vermillon dont on avait coutume d’enduire les anciennes statues s’altère très vite. »

Ainsi, des textes très précis nous autorisent à supposer dans notre restitution un patinage à la cire : c’est un frottis transparent, qui protège les parties peintes et les dorures, donne aux nus un éclat doux, un luisant comparable à celui de l’ivoire, et satisfait l’œil en amortissant les contrastes trop marqués, en n’offrant au regard que des transitions habilement ménagées. Mais le résultat sera-t-il atteint, s’il ne s’agit que d’un patinage incolore? La cire épurée dont parle Vitruve, « l’huile blanche » que mentionnent les inscriptions de Délos, ont-elles une vertu colorante, et suffiront-elles à réchauffer le ton du marbre? La question a été très discutée, et deux hypothèses restent possibles : ou bien, grâce à une préparation, la cire donnait au marbre une sorte de tonalité jaunâtre ; ou bien elle s’appliquait sur un glacis très léger, faisant office de matière colorante. Cette seconde hypothèse a été défendue par M. G. Treu[1], et il faut bien reconnaître qu’elle s’appuie sur des argumens de fait. La tête du British Museum laisse voir un glacis coloré encore apparent sous le patinage à la cire ; et c’est bien ici le lieu de rappeler ce frottis transparent observé sur les nus, dans le « sarcophage d’Alexandre ». On comprend très bien que, le plus souvent, une glaçure aussi légère n’ait pas laissé de traces, et que les marbres grecs nous montrent seulement les vestiges des tons opaques, beaucoup plus résistans. La restitution d’un coloris aussi fragile, aussi fugitif, reste une affaire de sentiment personnel. Mais nous nous refusons à croire que les Grecs aient jamais cherché à donner par là l’illusion de la réalité et à reproduire la coloration des chairs. Nous imaginons volontiers sur le corps de l’Hermès une sorte de frottis léger, très transparent, laissant voir le grain du marbre, et n’ayant d’autre objet que de prêter aux nus une tonalité chaude et uniforme.

La restitution idéale que nous venons d’esquisser nous permettra de conclure en peu de mots. Un écrivain qui condamne sévèrement le principe de la polychromie, « née d’un instinct sauvage », cite à ce propos les lignes suivantes de Diderot :

  1. Treu, Sollen wir unsere Statuen bemalen? et Jahrhuch des Arch. Inslituts, IV, 1889, p. 18 et suivantes. M. Paul Girard adopte la même opinion dans le chapitre qu’il consacre à la polychromie, la Peinture antique, p. 283.