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couleurs ne vont-elles pas ressortir avec une certaine dureté? Et les lois de l’harmonie, que l’œil d’un Grec perçoit avec une rare subtilité, n’imposent-elles pas à l’artiste l’obligation d’atténuer ces disparates, d’amortir la blancheur trop crue du marbre, de la ramener à des tonalités plus chaudes? Nous touchons ici à une question très discutée, celle de la coloration des nus. Qu’on l’admette ou non — et les avis sont partagés sur ce point — un fait reste certain : la statue subissait une sorte de patinage qui rétablissait l’harmonie entre les parties peintes et celles que n’avait pas encore touchées le pinceau. Grâce aux témoignages écrits, nous connaissons fort bien le détail de cette opération. Au dire de Vitruve, c’est la même que pratiquent les peintres à l’encaustique pour donner plus d’éclat à la peinture, comme on vernit un tableau : « Lorsque le mur sera bien poli, bien sec, on y appliquera avec un pinceau de poil de porc une couche de cire punique fondue au feu, et mêlée d’un peu d’huile; puis avec des charbons placés dans un réchaud on chauffera le mur de manière à faire suer la cire et à bien l’unir. On frottera ensuite le tout avec une bougie et des linges propres, comme on le fait aux statues de marbre qui sont nues. C’est l’opération que les Grecs appellent γάνωσις[1]. » D’autres textes confirment le témoignage de Vitruve. Les inventaires des temples de Délos font allusion à la ϰόσμησις de statues d’Artémis et de Héra : c’est une opération analogue à la ganôsis, et qui consiste à « étendre sur la surface un enduit pour l’unir, la polir, la rendre luisante ou la colorer, ou à la laver avec des substances qui lui donnent de l’éclat et la préservent tout ensemble[2]. » Les comptes de dépenses énumèrent tous les objets et ingrédiens employés : des éponges, du nitre, sans doute pour laver la statue et la débarrasser de la poussière, quand il s’agit de rafraîchir les couleurs; de l’huile blanche bien épurée, de la cire, une étoffe de lin; enfin un parfum à la rose, raffinement très explicable lorsque le marbre est une statue de culte, placée dans un sanctuaire embaumé d’encens. Cette opération se renouvelait souvent ; le soin d’y présider était dévolu aux fonctionnaires du temple. Une inscription du Ptoïon nous a conservé une reddition de comptes faite par un des administrateurs du temple d’Apollon ; il y est question d’une somme dépensée pour l’entretien des statues et pour le renouvellement de la ganôsis[3]. On la pratiquait encore à l’époque romaine. Plutarque

  1. Voir sur cette question Henry Gros et Charles Henry, l’Encaustique et les autres procédés de peinture chez les Anciens; Paris, librairie de l’Art, 1884.
  2. Homolle, Bulletin de correspondance hellénique, XIV, 1890, p. 497.
  3. Bulletin de correspondance hellénique, 1890, p. 185, article de M. Holleaux.