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d’abord réservé, et il avait fallu que lui-même, jugeant mieux du dangereux éclat de son nom en une pareille place, refusât de jeter ce défi non seulement à la gauche, mais aux centres. Pour ménager ces groupes modérés de la Chambre on avait offert l’instruction publique à M. Brame ; mais il était désormais le seul qui les représentât dans le cabinet. De plus, doué d’intelligence, de courage et d’honneur, il avait ces mérites dans le degré et dans la forme qui assurent la considération, mais non l’autorité. Il n’était pas de ceux dont l’influence déborde la fonction : seul, et sans le secret de conduire les autres, il devait être annulé. La même place qu’il tenait dans le ministère semblait réservée aux idées parlementaires dans la nouvelle politique, et si c’était donner satisfaction aux aspirations libérales surtout c’était la mesurer.

Dans ce cabinet, le nombre et l’importance étaient donc aux serviteurs les plus souples et aux champions les plus intraitables de la prépotence impériale, à des hommes qui avaient formé leurs idées, fait leur carrière sous le gouvernement absolu. Origine, habitudes, intérêts, dévouement, tout leur interdisait d’être, entre le Parlement et la couronne, les gardiens équitables d’un double droit, les arbitres impartiaux des conflits. Un tel ministère n’était pas fait pour protéger jamais contre les retours du pouvoir dynastique les franchises nationales, mais pour porter à la Chambre et imposer, s’il le fallait, au Parlement la volonté impériale. Cette volonté semblait s’être complu à reprendre par le ministère du 19 août ce qu’elle avait concédé par le ministère du 2 janvier.

Aussi n’avaient-ils pas été faits de la même main. Lorsque Napoléon III, partant pour l’armée, avait confié à l’impératrice la régence, il s’était bien réservé le droit de pourvoir seul, comme par le passé, aux changemens de cabinet. Mais le jour où la Chambre renversa M. Ollivier, l’empereur à Metz ne pouvait conduire les négociations multiples, discrètes, et promptes qu’exigent ces sortes de crises. Les événemens, plus forts que les décrets, permettaient l’initiative à l’impératrice. Quand celle-ci proposa à l’empereur de confier à Montauban la formation du cabinet nouveau, le choix semblait sage et populaire. Mais Montauban, étranger à la politique, était lui-même hors d’état de trouver sur l’heure les ministres qu’il devait s’associer. Son incompétence, comme l’éloignement du souverain, sollicitait l’aide et accrut le rôle de l’impératrice ; elle inspira les démarches, désigna les hommes, et le ministère fut son œuvre. Dans cette œuvre, l’ostentation du retour au principe d’autorité et la part faite aux dévouemens personnels trahissaient une imagination et un cœur de