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statue d’Auguste trouvée dans la villa de Livie, sur la voie Flaminienne, et conservée au Vatican[1]. L’empereur, en costume militaire, semble haranguer ses troupes : c’est une œuvre excellente, très voisine des premières années de notre ère. Or, les restes de couleurs encore très apparents, — tunique rouge clair, pallium rouge sombre, cuirasse bordée de franges jaunes et couverte de reliefs ciselés, rehaussés de bleu, de pourpre, de carmin, — nous donnent l’idée d’une statue où la polychromie la plus riche avait été prodiguée. Pour perdre la trace de ces habitudes si persistantes, il faudrait descendre fort bas dans l’époque impériale. Une statue de Faustine, la femme d’Antonin le Pieux, morte en 141, nous montre encore que l’usage n’est pas perdu de dorer la chevelure, de rehausser par la couleur le travail des draperies[2].


IV

Tous ces faits suffisent, croyons-nous, à démontrer l’essentiel, à montrer combien était peu fondé le préjugé qui a longtemps écarté l’idée d’une statuaire polychrome en Grèce. Mais ils ne satisfont pas complètement notre curiosité; nous voudrions en apprendre beaucoup plus. Au lieu de chercher péniblement, sur des marbres disséminés çà et là, les traces pâlies d’une coloration presque disparue, nous voudrions avoir la vision nette, directe, d’une statue peinte, avec toute la fraîcheur de sa polychromie, savoir exactement quelles harmonies un maître comme Nicias pouvait réaliser en ajoutant à un marbre sculpté par Praxitèle le charme de la couleur. Il faut nous résigner. Nous n’entrevoyons que bien imparfaitement l’aspect d’ensemble d’une statue peinte. Pour en évoquer tout au moins une image affaiblie, il faudrait sortir du domaine de la théorie, avoir recours aux applications pratiques, et chercher soit sur le moulage, soit sur une copie en marbre, une restitution des tons, comme on restitue sur le papier, avec des débris de colonnes et de chapiteaux, l’ordre d’un temple grec. Ce n’est pas là un rêve irréalisable. De pareils essais ont été tentés à plusieurs reprises. En 1885, le savant directeur de l’Albertinum de Dresde, M. Georg Treu, a organisé à la National-Galerie de Berlin une exposition d’œuvres de sculpture polychrome appartenant à tous les pays et à tous les temps, depuis les statues égyptiennes en calcaire jusqu’aux bustes en marbre peint et aux frises en majolique d’artistes contemporains. A côté d’un relief en cire peinte de notre compatriote M. Henry Cros, de

  1. Helbig, Musées d’archéologie classique de Rome, trad. Toutain, I, p. 5, n° 5.
  2. Annali, 1863, p. 450- 452 ; Monumenti inediti, VI-VII, pl. LXXXIV, 2.