Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 127.djvu/844

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Priape, et consultant l’esquisse peinte placée devant elle[1]. Au second siècle de notre ère, les plus fins connaisseurs en matière d’art considèrent la polychromie comme le complément indispensable de la sculpture. On connaît le dialogue des Portraits, où Lucien met en scène deux dilettantes raffinés, Lykinos et Polystratos. Pour réaliser un type de beauté parfaite, les deux amateurs empruntent aux statues grecques les plus célèbres tous les traits de la description : à la Cnidienne de Praxitèle, ses cheveux et son front ; à l’Aphrodite des jardins, d’Alcamènes, ses doigts ronds et fuselés; à la Lemnienne de Phidias, les contours des joues et l’ovale du visage. Mais ce n’est pas tout. Polystratos réclame un nouvel élément de beauté. « Lequel? — Ce n’est pas le moins intéressant, mon cher ami, à moins que le coloris propre à chaque partie ne te paraisse contribuer en rien à la beauté... notre ouvrage court grand risque de pécher par le point essentiel. » Et les deux causeurs partagent entre les peintres les plus illustres de l’antiquité grecque le soin d’appliquer cette polychromie idéale. On comprend très bien que les écrivains latins fassent également des allusions fort claires à la peinture des statues ; qu’un poète romain, auteur d’une épigramme sur une Daphné de marbre, admire à la fois l’art du sculpteur et celui du peintre[2] ; qu’un autre, un contemporain d’Auguste, promette à Vénus de lui dédier un Amour de marbre, aux ailes diaprées, au carquois peint :


Marmoreusque tibiy dea, versicolonbus alis
In morem picta stabit Amor pharetra[3].


Pour tout esprit non prévenu, une telle continuité dans les témoignages donne à réfléchir. N’eût-on pas d’autres preuves, il faudrait bien admettre que l’usage de peindre les statues n’est pas une mode passagère, et qu’il survit même à la conquête romaine. Mais les textes trouvent leur commentaire dans les monumens. Une étude complète comporterait une sorte de catalogue, par ordre chronologique, de tous les marbres où l’on découvre des traces de peinture, et ce simple exposé des faits prendrait la valeur d’une démonstration. Nous ne pouvons songer à entreprendre ici une recherche aussi minutieuse. Nous nous bornerons à citer quelques exemples, pour jalonner cette longue route dont un examen rapide des textes nous a fait entrevoir les lointaines perspectives.

  1. Museo Borbonico, VII, 3; Helbig, Wandgemälde der Städte Campaniens, n° 1443; Paul Girard, la Peinture antique, p. 260.
  2. Anthologie latine, I, p. 225, éd. H. Meyer.
  3. Dans le recueil des pièces attribuées à Virgile, Catalecta, VI.