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environ, loin d’avoir perdu du terrain, la polychromie en a plutôt gagné; et s’il fallait pour l’attester de nouveaux témoignages, on les trouverait sans peine dans les autres monumens découverts à Sidon : les frises peintes du « sarcophage des Pleureuses » apporteraient un argument de plus. De tous ces faits rapprochés, on peut conclure à des lois ou, si l’on préfère, à des habitudes établies pour la polychromie des bas-reliefs. D’abord les décorateurs n’ont pas renoncé aux couleurs opaques ; ils les emploient au contraire très largement. Pour les nus, ils ont résolu le problème dont nous parlions plus haut; ils y étendent des glacis colorés, mais transparens, qui laissent jouer le grain du marbre, tout en amortissant une blancheur qui paraîtrait trop crue. Enfin, pas plus à cette date qu’à une époque plus reculée, nous n’observons de tons rompus, de modelage par la couleur. C’est la saillie du bas-relief qui seule donne aux lumières leur valeur, aux ombres leur intensité. Le peintre ne modèle pas : il colore avec des teintes plates des surfaces sculptées qui ont par elles-mêmes leurs jeux d’ombre et de lumière.

En s’appuyant sur des indications aussi précises, on peut avec quelque sécurité aborder la question la plus importante, celle de la peinture des statues. Ici, le problème devient plus ardu. Il s’agit en effet d’œuvres isolées, exécutées pour elles-mêmes, sans aucune relation avec l’architecture ; il s’agit surtout de créations plastiques auxquelles, suivant nos idées modernes, la forme semble suffire pour leur donner toute leur valeur et tout leur accent. On a pensé longtemps que, sous le ciseau de Scopas et de Praxitèle, le marbre prenait assez de vie pour traduire, par le seul effet du modelé, les transports passionnés de la « Ménade au chevreau », ou la beauté parfaite de la « Cnidienne ». Et n’est-ce pas une idée barbare que de prétendre voiler sous la coloration même la plus légère, les exquises délicatesses du marbre travaillé par le ciseau des grands maîtres grecs?

Nous n’oserions pas affirmer que la polychromie des statues ait été une règle absolue, inflexible, et qu’elle se soit imposée rigoureusement à tous les artistes. Mais, si les faits sont concluans, il faudra bien l’accepter, sinon comme une loi, au moins comme un usage dont s’accommodait le goût antique. Or, nous trouvons tout d’abord dans les témoignages écrits bien des raisons de faire taire nos doutes. On a depuis longtemps réuni et commenté les principaux textes qui font allusion à la peinture des statues, et il est bon de remarquer qu’ils se répartissent sur une période fort longue, du quatrième siècle avant notre ère jusqu’à une date assez avancée dans l’époque impériale[1]. La statuaire

  1. Voir en particulier Christian Walz, Ueber die Polychromie der antiken Sculptur, Tubingue, 1853 et Blümnet, Technologie und Terminologie der Gewerbe und Künste, III, p. 200 et suivantes.