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les mettre en harmonie avec l’architecture ; il y a fait jouer les mêmes couleurs chaudes et vibrantes qui égayent les architraves et les cimaises.

Peinture totale, parce que la matière l’exige; conventionnelle, parce qu’elle doit être d’accord avec celle de l’architecture : tel est, vers le milieu du VIe siècle avant notre ère, le caractère de la polychromie dans la sculpture monumentale. Appliqué au bas-relief, ce principe conduit à des conséquences assez originales pour être signalées. En effet, la polychromie du bas-relief peut, au point de vue de ce qu’on appelle en termes d’atelier les rapports de valeurs, être comprise de deux façons : ou bien les figures se détachent en vigueur sur un fond clair, ou bien elles s’enlèvent en clair sur un fond sombre. Les artistes primitifs qui travaillent la pierre tendre sont naturellement amenés à pratiquer la première méthode. Un des frontons en relief de l’Acropole d’Athènes, celui d’Hercule combattant contre l’hydre de Lerne, nous montre une sorte de silhouettage des figures complètement peintes sur un fond qui garde la couleur naturelle de la pierre[1]. L’effet d’ensemble rappelle assez bien celui des vases à figures noires où les personnages se détachent sur un fond d’argile. L’analogie avec la peinture de vases nous frappe plus encore depuis que nous connaissons les métopes en tuf du Trésor des Sicyoniens, découvertes à Delphes. Non seulement. le fond des métopes n’a pas été touché par le pinceau, mais à côté des personnages enluminés de bistre et d’un rouge orangé ou vineux, des inscriptions tracées en lettres noires indiquent leurs noms[2] ; il est impossible d’imaginer une ressemblance plus complète avec le décor d’un vase corinthien. De tels faits nous invitent à croire que la polychromie du bas-relief a suivi d’assez près les traditions de la peinture. Aussi la voyons-nous subir le contre-coup de la révolution qui, vers 530 ou 520, modifie la technique des vases peints. Sous l’influence des progrès réalisés par la peinture, et entraînés dans un mouvement provoqué peut-être par les innovations de Cimon de Cléones[3], les céramistes abandonnent l’ancienne méthode; à ces silhouettes noires rehaussées d’engobes, d’aspect un peu triste, ils substituent des figures claires, cernées d’un fond noir brillant; en d’autres termes, ils renversent les rapports des valeurs. Les peintres de bas-relief resteront-ils

  1. Voir P.-J. Meier, Athenische Mittheilungen, X, p. 237-322, et les rapprochemens avec la peinture de vases signalés par (M. Brownson, American Journal of Archæology, VIII, p. 28-41.
  2. Voir l’article de M. Homolle, Gazette des Beaux-Arts, 1er décembre 1894.
  3. Nous renvoyons, pour cette question, au livre de M. Paul Girard, la Peinture antique, p. 141.