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existe déjà dans la primitive Hellade, bien avant que l’art soit assez avancé pour en raisonner les lois et en analyser les harmonies. Ses origines se confondent avec celles de la plastique et elles sont fort humbles. Au temps où toute la sculpture est représentée par des statues de bois, que des imagiers nomades équarrissent à la hache, travaillent grossièrement à la scie et à la gouge, la peinture est le complément obligé du travail de l’outil; elle en masque les défaillances; elle donne à l’œuvre un semblant de vie. Les textes font plus d’une fois allusion aux vieilles statues de culte peintes ou dorées, et nous savons que lorsque la tradition religieuse l’exige, on fabrique encore à l’époque classique de ces images de bois rehaussées d’enluminures. Ainsi à Délos, au IIIe siècle, on commande tous les ans pour la fête de Dionysos une statue de cette nature ; elle passe par les mains du peintre, et celui-ci reçoit le même salaire que le sculpteur[1]. Ce que pouvait être un pareil coloriage, vers le VIIIe siècle avant notre ère, on l’imagine sans trop de peine, grâce aux terres cuites primitives, à cette imagerie populaire qui nous a conservé comme des réductions à bon marché des statues de culte. A voir ce bariolage violent, ces plaques rouges qui tachent les pommettes du visage, on a l’impression d’une enluminure barbare; et l’impression changerait fort peu sans doute si, par impossible, des fouilles nous rendaient quelque spécimen de la statuaire en bois. Chercher les règles de la polychromie pour des œuvres qui n’existent plus serait raisonner dans le vide. Mais ce que nous apprennent les textes semble prouver qu’il faut faire la part du sentiment religieux dans cette esthétique naïve qui associe la couleur à la forme. D’après les anciennes idées grecques, la statue du dieu est vraiment animée par une puissance divine ; ces idoles sont des êtres vivans. Il est question de statues qui agitent la main, suent des gouttes de sang, communiquent à ceux qui les touchent une vigueur surnaturelle. Elles se déplacent miraculeusement ; une statue d’Apollon va défendre les murailles de Corcyre. On les pare de bijoux, de vêtemens; on les parfume comme des êtres de chair et d’os. Ne faut-il pas que l’image du dieu ait toutes les apparences de la vie, et que l’art y emploie toutes ses ressources, en leur donnant non seulement la forme, mais la couleur? Cette couleur sera un barbouillage informe ; mais elle plaira au dieu, et le xoanon, sous sa couche de rouge lie de vin ou de vermillon, inspirera aux dévots le même respect que provoquera plus tard l’Athéna de Phidias, resplendissant au Parthénon

  1. Bulletin de correspondance hellénique, 1890, p. 499 ; article de M. Hornolle.