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inachevées, M. Ollivier avait craint de rebuter par trop de rigueur la bonne volonté du souverain ; il avait obéi au vœu presque unanime des libéraux les plus qualifiés, qui le pressaient de saisir l’occasion ; comme eux, il avait cru que la plus sûre chance de finir une entreprise est de la commencer. Pour l’achever, il se fiait à son influence sur l’empereur, influence réelle, bien qu’il vînt d’en toucher les limites, à la logique des conséquences, certaines pourvu qu’elle ait le temps de les produire, et il avait accepté de transformer l’empire autoritaire en gouvernement libre, sans autre caution, contre les retours offensifs de l’absolutisme, que la fidélité d’une Chambre qui l’acceptait lui-même par obéissance à l’empereur. C’était commencer par le couronnement un édifice auquel manquait la base. Mais du moins avait-il, par la composition de son ministère, rétabli les formes et, autant que possible, préparé les mœurs de la liberté politique. Tous les portefeuilles, sauf ceux de la guerre et de la marine, avaient été donnés à des députés : MM. Buffet, Daru, Chevandier de Valdrôme, de Talhouët, Maurice Richard, Louvet et Segris. Tous ces députés étaient connus pour avoir réclamé une participation efficace du pays à ses affaires, tous avaient été élus sans l’appui ou malgré les efforts de l’administration. Si aucun d’eux, sauf M. Buffet, n’était désigné par un talent hors de pair, nul ne leur était supérieur dans la majorité, et d’ailleurs la parole de M. Ollivier suffisait à l’éclat d’un ministère. Désintéressés et fermes, ils avaient signé avec le souverain un pacte, promis à l’empire leur concours en échange de la liberté, ils étaient les plus capables de contenir par l’autorité de leur caractère toute entreprise contre les droits de la nation, les plus incapables de garder le pouvoir pour exécuter des mesures désapprouvées par eux[1], et, s’il n’y avait pas apparence que, dans un conflit entre eux et l’empereur, la Chambre soutînt leur résistance et ses droits, du moins tant qu’ils exerceraient le gouvernement, y avait-il certitude qu’aucune atteinte ne serait portée à la pratique loyale du régime nouveau.

Tout autre était le cabinet qui, sous la présidence de Montauban, fut formé le 10 août. Son chef et tous ses membres, sauf trois, étaient étrangers à la Chambre. L’intérieur, qu’on pourrait appeler le ministère de la politique, était confié à M. Chevreau : élevé de préfecture en préfecture jusqu’à celle de la Seine, il n’avait jamais interrogé et servi que la volonté de l’Empereur, et il savait trop comment se font les élections pour porter un grand respect aux droits du Parlement. Les sceaux étaient remis à M. Grandperret,

  1. C’est ainsi que MM. Buffet, Daru et de Talhouët se retirèrent quand fut décidé le plébiscite.