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Une partie de la foule, en passant devant les Tuileries, se souvint qu’il y avait encore une impératrice. Deux compagnies de voltigeurs de la garde seulement, Tune dans le jardin réservé, l’autre dans la cour du Carrousel, gardaient les Tuileries. Leur attitude tint en respect la foule, mais les voix suffisaient pour porter, jusque dans le palais, les cris de déchéance et de république.

Pour l’impératrice la suprême épreuve n’était pas l’arrivée des ennemis, c’était l’absence des fidèles. Déjà autour des Tuileries s’était répandue cette subtile odeur de mort qui s’exhale des maux inguérissables et qui chasse les courtisans. L’impératrice n’avait autour d’elle que sa maison, les serviteurs, elle attendait les amis. Par les vastes galeries, de longtemps trop étroites pour ses partisans, elle en vit venir jusqu’à cinq. Les deux premiers furent l’ambassadeur d’Autriche et le ministre d’Italie. Et ces amis venaient lui dire la même chose que lui criaient ses ennemis : la nécessité de partir.

Sans doute il y avait, dans ce conseil, de l’intérêt pour l’impératrice, mais ce départ était utile à leurs gouvernemens. L’un et l’autre pays avait promis à Napoléon III sous certaines conditions un concours ; des projets avaient été rédigés. Peut-être après Sedan, réduit à une de ces situations où l’on ne ménage rien, l’Empire essaierait-il auprès des deux pays de nouvelles instances et les compromettrait-il plus encore aux yeux de l’Allemagne victorieuse. A l’Italie surtout la durée de l’Empire devenait doublement incommode. Les services qu’il lui avait rendus donnaient à celle-ci, résolue à ne pas se compromettre pour son ancien libérateur, les apparences de l’ingratitude, et l’Empire avait opposé son fameux « Jamais », aux ambitions de l’Italie sur Rome. Que l’empire disparût, tous ces embarras disparaissaient avec lui. Ni l’Autriche ni l’Italie n’avaient négocié avec la République ; la gratitude de l’Italie tombait en déshérence, et les républicains par passion antireligieuse approuveraient la prise de Rome par la maison de Savoie.

En un pareil moment, la souveraine n’avait que le témoignage d’un Autrichien et d’un Italien, au moins fallait-il l’avis d’un Français : elle fit mander le préfet de police. Avant lui arrivèrent MM. Chevreau, Jérôme David, Busson-Billault, et leur contenance disait tout. Ils venaient partager les périls qu’ils ne pouvaient plus écarter de la souveraine. Le préfet de police les suivait de près. Selon lui un plus long séjour pouvait mettre en question la sécurité, peut-être la vie de l’impératrice. Celle-ci ne se résignait pas à la pensée de fuir. Il fallut lui représenter qu’elle risquait aussi la vie de toutes les personnes que le devoir retenait auprès d’elle.