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peut-être la démagogie s’y installe. C’est là qu’il est temps de la prévenir ou de la déposséder. Voilà pourquoi Jules Favre répond aux cris de République : « Ce n’est pas ici qu’il la faut proclamer. A l’Hôtel de Ville ! « Une partie des envahisseurs, les plus ardens des deux factions rivales, répète le cri, et se précipite sur les pas de M. Jules Favre et de M. Gambetta qui, le premier par la rive droite, et le second par la rive gauche, marchent déjà vers la place de Grève.


VI

Entre le moment où, sur le pont de la Concorde, l’officier de garde municipale a reculé devant la marche des gardes nationaux, et le moment où la révolution, après avoir dispersé le Corps législatif, sort du Palais Bourbon à la suite de deux députés et à la recherche d’un gouvernement nouveau, il s’est passé une heure.

Dans la Chambre et autour du palais, toutes les forces militaires sont anéanties. Les gardes municipaux et les gendarmes demeurent aux postes où ils ont été placés, mais sans irriter par le moindre obstacle le peuple au milieu duquel ils sont immobiles et comme prisonniers. Les troupes de ligne ont mis la crosse en l’air ; un bataillon a abandonné ses armes dans le jardin de la présidence, les soldats sont mêlés à la foule. Parmi les gardes nationaux chargés de défendre la Chambre, les uns l’ont envahie, les autres, incapables d’en chasser la multitude, restent bloqués par elle dans la cour d’honneur. Et le chef de ces forces détruites, le général de Caussade, est dans la salle des Pas-Perdus, assis, comme écroulé, au pied de la statue de Laocoon.

Hors de la Chambre, aucun effort n’est fait par l’empire pour ressaisir les événemens. Le ministre de la guerre, au début de l’invasion, a essayé de parlementer avec la foule dans la salle des Pas-Perdus ; jeté à bas d’une chaise et quelque peu maltraité, il s’est rendu au ministère, mais ce n’est pas pour y organiser la résistance. Il ne prescrit aucun mouvement aux troupes qui sont encore intactes dans leurs casernes. Une armée humiliée par la guerre extérieure est incapable de défendre par une guerre civile le gouvernement qu’elle accuse de sa honte : voilà ce que les conseillers de la résistance avaient méconnu et qui apparaît tout à coup. La police n’est pas dispersée : les sergens de ville qui n’ont pas quitté la Préfecture ou viennent de s’y replier, comptaient au moins trois à quatre mille hommes. Il n’en faut pas tant pour dégager un palais. Mais cette troupe elle-même, si elle gardait intacte sa force matérielle, a perdu sa confiance. La peur a changé